mercredi 15 avril 2009

P.J. FARMER, UN CELEBRE ECRIVAIN D'APRES GUERRE

On vient d'apprendre la disparition de James BALLARD, auteur de textes poético-écologiques - dont le fameux CRASH adapté au cinéma par David CRONENBERG*. Un autre écrivain de science-fiction emblématique des années 1960-70 l'avait de peu précédé. Disparu à l'âge de 91 ans le 25 février 2009, Philip José FARMER était un écrivain de science-fiction qui ne rechignait pas à prendre à rebours la tradition du genre en abordant, parfois de manière concrète, la sexualité, comme au travers de cette relation intime entre un homme et une extraterrestre dans LES AMANTS ÉTRANGERS, motif qui lui valut d'être refusé par plusieurs revues de science-fiction, notamment par le célèbre rédacteur en chef John CAMPBELL. FARMER écrira aussi des œuvres versant ouvertement dans la pornographie, telles que COMME UNE BETE qui traite de vampirisme, ce qui ne suscitera naturellement pas l'unanimité parmi les lecteurs de science-fiction.

On lui doit aussi des récits mettant en scène des personnages célèbres de l'imaginaire populaire, parmi lesquels un roman propulsant le Phileas Fogg du TOUR DU MONDE EN 80 JOURS dans des aventures interplanétaires. FARMER les présentait comme des personnages ayant réellement existé et dont les caractéristiques les plus extraordinaires s'expliquaient par l'influence d'une météorite au rayonnement de laquelle ils avaient été simultanément exposés. Le film LA LIGUE DES GENTLEMEN EXTRAORDINAIRES est basé sur une approche comparable. La biographie de ces personnages était parfois déclinée sur un mode grivois. L'écrivain de science-fiction s'est aussi amusé à écrire un roman sous le nom de Kilgore TROUT, un écrivain imaginaire apparaissant dans les oeuvres de Kurt VONNEGUT; ce dernier aurait paraît-il peu apprécié cet accaparement.

Couverture pour l'édition américaine de CHACUN SON TOUR ( THE OTHER LOG OF PHILEAS FOGG ), qui change le célèbre globe-trotter de Jules VERNE en émule du Docteur WHO.

Une de ses œuvres les plus connues est LE MONDE DU FLEUVE, cycle passionnant mais assez interminable dans lequel les défunts, incluant des personnages historiques connus, comme l'écrivain Cyrano de BERGERAC popularisé par Edmond ROSTAND, et même des hominiens de la préhistoire, ressuscitent sur une planète géante, certains entreprenant de remonter le cours d'un fleuve gigantesque car convaincus que la solution de l'énigme puisse être découverte à sa source. L'une des figures les plus importantes du cycle, le personnage de GOERING, a été évincée de l'adaptation télévisée au bénéfice d'un dictateur de l'Empire romain, NERON, sans doute par crainte d'alimenter la controverse en risquant de conférer un minimum de sympathie à ce personnage d'un passé encore récent**, quoique présenté par l'écrivain comme non dépourvu d'ambiguïté quant à son prétendu amendement ( on peut de plus relever que l'empereur incendiaire - d'ailleurs plus machiavélique que fou dans cette incarnation - affiche plus immédiatement son penchant pour la violence que son pendant nazi chez FARMER, et que, par ailleurs, son interprète, qui ressemble à l'acteur David WARNER, est physiquement plutôt éloigné des portraits connus de l'intéressé, plus rond de visage ). L'écrivain était l'auteur d'un autre cycle, LA SAGA DES HOMMES-DIEUX, témoignant d'une imagination échevelée.

Une créature hybride issue des mondes fantasmagoriques du cycle de la SAGA DES HOMMES-DIEUX ( illustration de SIUDMAK choisie pour la couverture française du roman LES PORTES DE LA CRÉATION ).

FARMER semble s'être assez fréquemment inspiré
de thèses psychanalytiques, très en vogue durant la décennie ( comme s'en faisait d'ailleurs écho le remake de 1978 de L'INVASION DES PROFANATEURS ). Dans LA PLANETE DU DIEU, des hommes sont confrontés à une entité qui se présente comme l'image du Dieu paternaliste, figure absolue du Père par excellence, paraissant issu de l'Ancien testament. Dans LA MERE, il assigne à une créature extraterrestre sessile le rôle de la génitrice protectrice, réduite à sa fonction symbolique, un humain s'y lovant pour y retrouver la quiétude et la douceur de la vie intra-utérine.

Vue en coupe de LA MERE telle que représentée par l'illustrateur Wayne BARLOWE, un des rares exemples de forme animale sessile de la science-fiction; à maturité, la créature donne naissance à sa progéniture, des êtres mobiles qui ressemblent à des limaçons.

OUVRE MOI, Ô MA SŒUR est une autre histoire de rapport interplanétaire entre un homme et une extraterrestre humanoïde. L'auteur y dépeint des cycles biologiques très différents du nôtre; comme dans la plupart des œuvres de science-fiction, le personnage principal paraît tirer remarquablement vite des conclusions de ses observations et des explications par gestes de son interlocutrice. Il semble n'exister sur la planète Mars qu'une seule espèce animale, les différentes formes correspondant à des stades ou des générations différentes. L'organisation des Martiens s'apparente à celle des Insectes sociaux, avec une reine, des ouvrières, des larves, ressemblant pour certaines à des Vers luisants, pour d'autres à des Raies, lesquelles contribuent à la subsistance et aux conditions écologiques de la colonie exploitant une plantation. Le personnage humain y fait aussi la connaissance d'une extraterrestre humanoïde venue étudier notre système solaire, face à laquelle il est tiraillé entre sa gratitude, celle-là lui ayant sauvé la vie, de même que par une certaine attirance physique, et d'autre part, par son souci de protéger l'espèce humaine d'une civilisation à la technique plus avancée. Les deux espèces étrangères ont en commun d'être essentiellement féminisées; chez les Martiens, il n'existe qu'un seul mâle fécondant la colonie, dont la férocité est une menace telle qu'il doit être maintenu en cage en permanence, tandis que chez la seconde espèce, il ne semble même pas exister de mâles - à l'instar de ce qui s'observe sur notre monde chez nombre d'espèces de Rotifères, animaux microscopiques vivant dans les mousses humides et les eaux douces. La créature extraterrestre héberge en son sein une forme embryonnaire aux allures de ver, qui collecte son ovule ainsi que celui d'autres femelles lors de rapprochements, puis, une fois adulte, opère une fusion de ces gamètes engendrant de nouveaux individus. Les deux espèces extraterrestres ont aussi en commun que les communications ont pour l'essentiel lieu au travers d'échanges buccaux et de salive; les freudiens diraient que ces êtres demeurent au "stade oral" chez lequel le nouveau né entre en contact avec son environnement en portant tout à sa bouche, comme sans doute nos lointains ancêtres avant qu'ils ne se dotent de mains pour la préhension. A l'issue de la nouvelle, le personnage principal laissera triompher l'instinct destructeur de l'humanité, ici identifié d'ailleurs à la violence masculine. Le pardon qui est accordé à l'humain sera pour lui synonyme de la plus terrible des punitions.

Les ouvrières martiennes dépeintes dans la nouvelle OUVRE MOI, Ô MA SŒUR, reposant grâce à leurs pattes spatulées sur la nappe gélatineuse constituée de micro-organismes, dans laquelle les membres de l'expédition terrienne ont sombré. En arrière-plan, l'humanoïde tenant l'embryon.

La première fois que le personnage central de OUVRE MOI, Ô MA SŒUR aperçoit l'extraterrestre humanoïde, il lui prête deux têtes en interprétant ainsi la présence dans le casque de la tête de l'embryon accompagnant sa mère porteuse; bien que vermiforme, sa tête rappelle un peu celle d'un bébé, et il est dépeint, en dépit de l'horreur qu'il suscite chez l'humain, d'une manière un peu moins horrifiante que celle par laquelle l'illustrateur l'a représenté.

Une analyse très complète de la thématique de l'auteur récompensé par trois prix Hugo - distinction importante en l'honneur du prénom de l'initiateur de la science-fiction américaine - due à la plume du célèbre écrivain de science-fiction Gérard KLEIN, peut être lue à cette adresse :
www.quarante-deux.org/archives/klein/divers/farmer.html


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Mentionnons au passage la disparition conjointe de quelques autres personnes ayant quelque lien lointain avec notre thématique. Natasha RICHARDSON est décédée le 18 mars 2009 des suites d'un accident de ski alors qu'elle suivait son premier cours d'initiation. Son mari l'acteur Liam NEESON ( qui était notamment apparu pour un de ses premiers rôles dans un film fantastique, KRULL, dans lequel il incarnait un membre d'une troupe de brigands ) a accepté que ses organes soient donnés à des receveurs, ce qui est tristement approprié en cette année officielle du don d'organes. Fille de l'actrice britannique Vanessa REDGRAVE, Natasha RICHARDSON avait notamment, après Elsa LANCHESTER dans LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN de James WHALE, interprété dans GOTHIC***, sous la direction de Ken RUSSELL, avec une grâce un peu sulfureuse, l'écrivain Mary SHELLEY à travers le récit des circonstances ayant présidé à la création du roman FRANKENSTEIN, lequel, en dépit de son atmosphère de fantastique romantique gothique, est l'œuvre fondatrice la plus ancienne et incontestable de la science-fiction, augurant notamment d'une longue descendance de savants fous créateurs des monstres les plus divers. Marilyn CHAMBERS, disparue à 56 ans le 12 avril 2009, était quant à elle une actrice pornographique qui s'est fait connaître des cinéphiles au travers du rôle principal du second long métrage du cinéaste passionné par les mutations, David CRONENBERG, RAGE, dans lequel elle incarnait le cobaye d'un chirurgien dément; elle interprète avec une candeur inquiétante cette jeune fille qui donne la mort à ceux qu'elle rencontre, alors qu'elle paraît de prime abord sans défense et fort inoffensive, préfiguration, comme le film précédent du cinéaste, FRISSONS, du SIDA, corollaire mortel de la libération sexuelle.

Scène de RAGE : la solitude de Rose, interprétée par Marilyn CHAMBERS - on peut voir à gauche l'affiche de CARRIE avec Sissi SPACEK, qui avait été initialement pressentie pour le rôle.

Pat HINGLE ( à ne pas confondre avec Art HINDLE qui a joué dans plusieurs films fantastiques des années 1970 ), né Martin Patterson HINGLE, disparu à l'âge de 84 ans le 3 janvier 2009, avait souvent interprété, en particulier à la télévision, des grands-pères un peu bougons mais au cœur généreux, avec pratiquement la même physionomie depuis toujours. Il était notamment apparu dans MAXIMUM OVERDRIDE, film réalisé par Stephen KING d'après une de ses nouvelles, ainsi que dans les différents films autour du justicier BATMAN. En matière de créatures, il avait joué dans le fort peu connu téléfilm SHOCK INVADER - NOT OF THIS WORLD, réalisé par John HESS, dans lequel il affrontait des extraterrestres se nourrissant du potentiel électrique de leur victime, des êtres étranges dont la texture rappelait celle du papier mâché et dont la morphologie évoquait quelque peu les souches d'arbre inquiétantes vues dans la scène du cauchemar dans la forêt du dessin animé de DISNEY, BLANCHE-NEIGE.

L'acteur Pat HINGLE, qui impose sa présence
de grand-père protecteur et décidé dans SHOCK INVADER

La créature du téléfilm SHOCK INVADER, mâchoire ouverte
( les mandibules sont disposées horizontalement tel un sécateur ),
conçue par Alex RAMBALDI, fils de Carlo RAMBALDI,
grand concepteur d'effets spéciaux évoqué dans l'article d'octobre 2008

Les médias français ont unanimement rendu hommage à Maurice JARRE décédé le 29 mars 2009 à Los angeles à 84 ans, alors qu'ils avaient totalement ignoré la disparition d' un autre compositeur de cinéma, très inventif et talentueux, Jerry GOLDSMITH, il y'a quelques années ; il est vrai que JARRE, installé depuis très longtemps aux Etats-Unis, était français. Il était l'auteur des compositions de bien des films connus, d
e LAWRENCE D'ARABIE à GORILLES DANS LA BRUME ( le film rendant hommage à Dian FOSSEY, protectrice des Gorilles de montagne ) en passant par le très réussi JESUS DE NAZARETH de Franco ZEFFIRELLI. En matière de science-fiction, il avait composé la musique épique du film ENEMY MINE de Wolfgang PETERSEN, dans lequel on peut admirer quelques espèces extraterrestres conçues par Chris WALAS. (* film très apprécié des critiques, dont l'intérêt m'a cependant paru bien peu évident, au point de n'être pas allé le voir au cinéma et de l'avoir visionné à la télévision le doigt rivé à la touche d'avance rapide, moi qui suis pourtant un inconditionnel de la première partie de la carrière cinématographique du réalisateur; à noter que deux ans avant la parution du roman de BALLARD en 1973, Brian LUMLEY, disciple de LOVECRAFT, avait écrit une nouvelle intitulée UN FOU DU VOLANT, qui traite aussi de la fascination pour l'automobile et de l'acceptation des accidents de la route comme sacrifice consenti à l'idole de la modernité .)

(**curieusement, ce sont les auteurs de science-fiction les plus marqués à gauche qui se montrent les mieux disposés au sujet des criminels nazis : FARMER présente au départ GOERING en lui prêtant une certaine bonhommie, Philip K. DICK paraît fugitivement admirer l'ascétisme de HIMMLER dans le célèbre roman uchronique LE MAITRE DU HAUT CHATEAU et Normad SPINRAD a écrit la biographie d'un HITLER fictif devenu un auteur d'heroic-fantasy après avoir trouvé refuge aux Etats-Unis suite à la victoire des communistes spartakistes dans REVE DE FER. )

( ***un autre film, HAUNTED SUMMER, revient sur la genèse de cette création fondatrice. )