samedi 21 juin 2014

ALIEN DE NOUVEAU ORPHELIN




 Après la disparition du scénariste d’ALIEN, Dan O’BANNON qui avait imaginé l’histoire de la célèbre créature de l’espace, puis celle du spécialiste des effets spéciaux mécaniques qui avait agencé la tête du monstre extraterrestre, Carlo RAMBALDI, à la suite desquelles on avait consacré à l’époque un hommage en ces pages, c’est à présent l’artiste qui avait imaginé son apparence qui s’est éteint le 12 mai 2014 à Zurich, en Suisse, des suites d’une mauvaise chute à l’âge de 74 ans.

UNE ŒUVRE EMPREINTE DE SCANDALE
 Artiste suisse né le 5 février 1940 à Chur, Hans Rudi GIGER est fils d’un pharmacien d’allure assez austère dont le souhait de transmission de son officine ne dissuadera pas le jeune garçon passionné par le fantastique et l’art de se lancer dans des études artistiques à Zurich de 1962 à 1970. Même si le dessin industriel n’intéresse que modérément le jeune étudiant, sa formation lui permet de se familiariser avec des techniques comme le maniement de l’aérographe qui lui seront utiles pour le rendu de ses peintures. Décorateur figurant dans l’annuaire, il n’a jamais été contacté à sa grande satisfaction, préférant employer son temps à peindre des toiles, souvent inspirées de cauchemars personnels. Hans GIGER semble fasciné par l’extrême et l’interdit. Passionné par les armes à feu, il les forge lui-même au point d’avoir failli faire sauter l’atelier de préparation de son père alors qu’il coulait le plomb dans la cave, et il est passé près de la mort à plusieurs reprises alors que des proches lui tiraient dessus avec des armes censées être inoffensives. En dépit d’un certain intérêt pour le puritain auteur Howard Philip LOVECRAFT et ses entités cosmiques qui l’amènera à intituler « Necronomicon » certaines toiles – du nom du livre maudit imaginaire inventé par l’écrivain, auquel le peintre suisse semble accorder quelque réalité - les sources principales de son inspiration sont plus prosaïquement le sexe et la mort. S’il est bien un artiste qui donne corps à la rencontre supposée par les psychanalystes entre « Eros et Thanatos », c’est bien le peintre suisse, les deux se retrouvant souvent associées à l’accouchement, et occasionnellement à des connotations blasphématrices antichrétiennes. L’artiste est sulfureux et sa peinture détaillant un coït pour la couverture du groupe de rock « The dead Kennedys » exposée en 1978 à New-York a fait scandale, certains estimant qu’il relevait davantage de la pornographie que de l’art, même si la justice n’a finalement pas demandé l’interdiction de présentation au public. GIGER accumulait dans son garage des squelettes d’animaux et n’hésitait pas à se fournir auprès des bouchers en pièces osseuses pour confectionner ses artefacts, comme ceux de sa salle spéciale, « le train fantôme », où il emmenait souvent des jeunes filles avec des intentions que sa timidité l’empêchait souvent de concrétiser. Un autre élément encore des peintures de GIGER, qui n’est peut-être pas sans rapport avec sa formation, est l’inclusion d’éléments mécaniques, industriels, combinés à des formes plus organiques, les ossements se mêlant au métal pour forger un style qu’il a lui-même qualifié de « biomécanique ». On peut évoquer aussi qu’à la suite de la dépression et du suicide de sa première compagne, Li TOBLER, il fut reproché à GIGER d’avoir contribué à cette tragédie par l’univers morbide dans lequel il vivait.
LE RAPPROCHEMENT AVEC LE MONDE DU CINEMA
 S’intéressant à la culture populaire sous toutes ses formes, il réalisa aussi bien des couvertures de disques comme pour la chanteuse Blondie ( Debbie HARRY, qui interprétait par ailleurs la brune sophistiquée à la poursuite de laquelle s’élançait le personnage principal du film VIDEODROME de David CRONENBERG) que des tableaux, et envisagea aussi très rapidement les possibilités offertes par le cinéma. Son compatriote Fredi MURER qui avait fait un documentaire d’une durée de dix minutes sur ses tableaux, réalisa en 1968 SWISS MADE, sujet portant sur la terre vue par un extraterrestre, pour lequel GIGER construisit le costume comportant un casque intégrant une caméra ainsi qu’un second pour son animal de compagnie interprété par un chien. MURER réalisera par la suite un autre documentaire sur les visions de GIGER, PASSAGES, avant de partir pour l’Angleterre et de se tourner vers la réalisation de drames réalistes.


Un chien stoïque sous l'harnachement de SWISS MADE.
 Les circonstances permirent ensuite à l’intérêt manifesté par Hans R. GIGER pour le cinéma de trouver des débouchés plus fastueux; sa notoriété internationale incontestable va lui être apportée par la conception d’un monde extraterrestre pour le film de science-fiction ALIEN.

LA CONSÉCRATION EN UN FILM
 A l’origine lointaine de la séquence d’évènements qui l’ont conduit à appliquer son art à cette importante production, se trouve la volonté du cinéaste chilien Alejandro JODOROWSKI d’adapter au cinéma le roman de science-fiction de Frank HERBERT, DUNE. A l’époque, il envisageait de confier le rôle de l’Empereur de l’univers connu à une personnalité excentrique, le peintre surréaliste espagnol Salvador DALI. Ce dernier, qui connaissait Hans GIGER par l’intermédiaire d’un autre peintre, Robert VENOSA, présenta aux représentants de la production venus à Cadaquès certaines œuvres du peintre suisse qui fut ainsi engagé comme artiste conceptuel en charge notamment d’imaginer l’architecture baroque et inquiétante de la planète gouvernée par le Baron Harkonnen alors censé être interprété par Orson WELLES. Le projet trop coûteux fut abandonné puis repris par le producteur Dino de LAURENTIIS qui prévoyait d’en confier la réalisation au metteur en scène britannique Ridley SCOTT, pour le compte duquel GIGER poursuivit son travail.


GIGER en compagnie du peintre DALI à Cadaquès, ephémère empereur galactique.


Moissonneuse à épice pour le DUNE de JODOROWSKI imaginée en 1976 par H.R. GIGER; on notera le crâne allongée de l'effigie du baron Harkonnen qui couronne l'appareil, évoquant celui de d'autres de ses créatures, notamment celle de la toile Necronomicon IV, qui serviront de modèle pour la tête du monstre extraterrestre d'ALIEN.

 Alors que le film en était toujours à l’étape de développement, Ridley SCOTT s’intéressa à une autre entreprise, une histoire d’extraterrestre terrifiante imaginée par le scénariste Dan O’BANNON. Insatisfait des conceptions proposées pour concrétiser le monstre, Dan O’BANNON se souvint alors des peintures morbides de GIGER dont il était familier depuis la tentative d’adaptation de DUNE dont il était partie prenante en tant que créateur d'effets spéciaux et s’accorda avec Ridley SCOTT pour le recruter. Le peintre suisse aura la charge de concevoir tous les éléments extraterrestres du film, le planétoïde dont les rochers tourmentés sont basés sur des ossements, l’épave inconnue échouée à la silhouette étrange, aux formes courbes et à l’aspect organique, son pilote au corps ossifié, et les trois stades de développement du terrifiant passager clandestin qui décime l’équipe du Nostromo. Si le monstre adulte est pratiquement repris en l’état d’une toile préexistante, la première forme qui agrippe un explorateur trop aventureux pour ne plus le relâcher, le « face hugger », est passé par plusieurs révisions, d’abord un étrange animal aux longues pattes articulées et à la tête de dindon, puis le remplacement du corps par une sorte de ver annelé, la contamination de l’hôte se faisant non plus par la mâchoire en forme de tenaille mais par une sorte de trompe ventrale, enfin la quasi-disparition du corps lui-même, la créature étant réduite à une sorte de main osseuse dont les pattes apparaissent comme de longs doigts effilés, conservant la trompe ventrale inséminatrice. Initialement, la tête du monstre adulte devait être très morbide, GIGER ayant proposé que le squelette du crâne puisse être visible par transparence mais l’idée fut finalement abandonnée car le résultat ne fut pas jugé suffisamment satisfaisant.


Peinture de l'étrange épave extraterrestre.


GIGER devant la dépouille de l'explorateur extraterrestre victime de l'Alien dans le studio Shepperton à Londres.



Conceptions de GIGER non retenues pour les deux premiers stades du monstre extraterrestre, le face-hugger ("agrippe-visage") qui infeste la victime (haut) et le chest-burster qui se fraye le passage depuis les entrailles de l'hôte, inspiré par une dinde plumée, avant qu'on demande à l'artiste d'imaginer une forme foetale annonçant davantage l'adulte.

Hans GIGER dans sa demeure en Suisse tenant la tête de son monstre iconique, dont le crâne devait initialement aparaître au travers d'une coque translucide.

Les connotations sexuelles quant à elles ne sont pas nécessairement évidentes dans le film, bien qu’elles furent partie intégrante de l’élaboration de l’univers extraterrestre. Pour l’œuf contenant la forme infestante, GIGER avait basé l’ouverture sur la morphologie d’un sexe féminin. Afin d’éviter que ce caractère soit trop explicite, l’artiste a finalement démultiplié cette ouverture, de manière à ce qu’elle devienne cruciforme – l’épave conserve par contre trois orifices très organiques qui rappellent des ouvertures vaginales. Afin de rendre évident son caractère d’organisme inséminateur, l’artiste avait conféré au premier stade de l’extraterrestre deux énormes gonades, qui subsistent dans la version finale mais sous une forme édulcorée, des poches plus anodines. La tête effilée du monstre adulte lui conférant l’apparence profilée d’un dauphin provient d’une peinture préexistante dans laquelle le crâne oblong est explicitement calqué sur un sexe masculin avec sa partie oblongue terminale caractéristique venant coiffer l’arrière du crâne.
 La première partie d’ALIEN relative à l’exploration du vaisseau extraterrestre rend réellement justice à la vision de l’artiste, donnant une réalité tangible à ce monde radicalement différent du nôtre. GIGER se voit gratifié en 1980 d’un Oscar au même titre que les principaux responsables des effets spéciaux d’ALIEN. La réputation sulfureuse de l’artiste subsiste malgré cette consécration; le cadavre géant fossilisé du pilote extraterrestre vu dans le film est incendié par un fanatique religieux, alors même que la sculpture en tant que telle est pourtant exempte de connotation sexuelle ou antireligieuse.


Le cadavre momifié du pilote extraterrestre d'ALIEN sur lequel GIGER avait travaillé, présenté au Cinéma égyptien sur Hollywood Boulevard à Los Angeles pour la première du film, une pièce d'histoire photographiée peu avant que des malfaisants y mettent le feu. 
DES RELATIONS OMBRAGEUSES AVEC LE 7EME ART
 Le peintre suisse continuait régulièrement d’œuvrer sur le développement de DUNE, définissant notamment l’aspect du Ver géant pourvoyeur de l’Epice sur Arrakis, lorsque Ridley SCOTT le prévint que le producteur Dino de LAURENTIIS, toujours insatisfait de l’évolution du projet, avait décidé de reprendre tout le processus avec sa fille Rafaëlla. Lassé devant la perspective toujours repoussée d’un tournage, Ridley SCOTT finit par se désengager du projet pour tourner BLADE RUNNER.


Un siège des Harkonnen, conçu en 1979 par GIGER et construit par Conny de FRIES, qui servit de modèle pour plusieurs bars, notamment à Gruyère en Suisse et à Tokyo au Japon.

Un ver géant d'Arrakis peint par GIGER en 1979.
 Ayant conservé son intérêt pour l’entreprise, et admirateur du cinéaste David LYNCH choisi par les producteurs de DUNE pour mener à bien le monumental projet, avec une équipe renouvelée d’artistes conceptuels, Hans GIGER se montra désireux de travailler avec le nouveau réalisateur, mais ses demandes restèrent sans suite. On lui laissera finalement entendre que David LYNCH aurait conçu de l’animosité à son égard en estimant curieusement que le petit monstre qui s’extirpe du corps de Kane dans ALIEN, le « chest burster » qui représente la forme fœtale de l’extraterrestre adulte, était indûment inspiré du rejeton monstrueux qu’il avait créé lui-même pour son film ERASERHEAD.
 GIGER fut chargé de concevoir l’esthétique et les créatures du film THE TOURIST que devait réaliser Brian GIBSON, dans lequel diverses espèces extraterrestres bannies de leurs mondes respectifs sont soumises à des expériences dans un hôpital de New-York. Le projet n’aboutit pas, le studio Universal préférant investir financièrement dans un projet concurrent E.T. L’EXTRATERRESTRE (E.T. THE EXTRATERRESTRIAL).
 Après l’expérience malheureuse de THE TOURIST, Brian GIBSON fit de nouvel appel à GIGER lorsqu’il se vit confier la réalisation de POLTERGEIST 2, un second épisode dans lequel la famille Freeling est tourmentée par des forces occultes, cette fois sous la forme d’un révérend maudit. Cette fois, le projet est l’occasion pour l’artiste de faire primer l’inspiration morbide, avec corps déformés et visages décharnés, sur les penchants libidinaux, et GIGER réalisa de nombreuses toiles consacrées aux différentes incarnations de l’âme damnée, sous forme d’ectoplasme, de ver maléfique s’introduisant dans une bouteille de tequila pour posséder de l’intérieur le père de famille dont il convoite l’âme radieuse de sa fillette, puis la forme en mutation qu’il devient une fois recraché, l’aberration semi-anthropomorphe en laquelle il se change, puis la « grande Bête » dont la tête est ornée de tentacules rappelant la gorgone et le tronc composé des visages torturées des âmes qu’il a entraînées avec lui. Son goût pour l’irrévérence religieuse trouve à s’illustrer au travers de son ultime incarnation, la créature se mettant la tête en bas et se changeant en une sorte de crucifix renversé. Cette dernière vision n’est cependant pas illustrée dans le film, et la première apparition grotesque et satanique du monstre, « la Bête de fumée » au travers de l’évocation ésotérique du prologue par le chaman indien apparaît à l’écran sous une forme très édulcorée; ces deux écarts d’avec son travail, auxquels on peut ajouter une vision plus tourmentée du monde de l’au-delà, un vortex constitué d’un enchevêtrement de bras, absente du film, rendirent Hans GIGER marri du rendu de sa collaboration au film, d’autant plus que son sculpteur attitré Conny de FRIES qui avait réalisé les modèles des monstres à partir de ses peintures n'avait pas obtenu d’autorisation pour venir travailler aux Etats-Unis sur la production .


Pour l'incarnation de l'âme maudite sous forme de ver, GIGER avait d'abord imaginé ce ver à mi chemin de la sangsue et de l'Ankylostome (un Nématode ) avant de lui ajouter un oeil malveillant à la demande de la production (en bas).

Expulsé par Steve Freeling, la créature surnaturelle se change en une abomination terrifiante par une métamorphose en temps réelle très bien restituée à l'écran par l'équipe des effets spéciaux.

Modèle de la Grande Bête, tête en bas, pour POLTERGEIST 2 sculpté par Conny de FRIES.

Conny de FRIES à droite, en discussion avec GIGER.



La dernière phase de la métamorphose de la Grande Bête, absente du film, conçue par GIGER comme un mélange de crucifix renversé et de totem dont les faces grotesques représentent les visages des âmes damnées victimes du révérend Kane.



Le concept de la "Bête de fumée", l'entité spectrale telle que GIGER l'avait imaginée, dont le corps n'est pas sans évoquer celui d'un parasite, le Schistosome ou "douve du sang".
 L’artiste suisse s’avoua d’autant plus frustré qu’alors qu’il se consacrait à POLTERGEIST 2, il apprit qu’une suite d’ALIEN était en chantier et que son auteur, le réalisateur James CAMERON, avec le concours du créateur d’effets spéciaux Stan WINSTON, avaient souhaité se passer de ses services afin d’appliquer à la créature leurs propres concepts, notamment en concevant la Reine, une créature hexapode géante inspirée de celle existant chez les insectes sociaux. GIGER maugréa alors au sujet de POLTERGEIST 2 qu’il n’était « pas au travail pas sur le bon film ».
 Si GIGER conçut un démon pour le film japonais TOKYO, THE LAST METROPOLIS en 1988, nombre d’autres contributions au domaine du cinéma n’aboutirent pas. Il espérait la même année travailler de nouveau avec Ridley SCOTT sur DEAD RECKONING, renommé THE TRAIN, une histoire de train transportant des corps en animation suspendue dans lequel une créature humanoïde avec un cerveau modifié génétiquement semait la destruction. Malgré ses esquisses, le film ne vit pas le jour – même lorsque rebaptisé ultérieurement ISOBAR, une forme de vie végétale transgénique substituée au mutant, que devait affronter Sylvester STALLONE, fut construite en vain par Rick BAKER.
 Le metteur en scène de série B, William MALONE, qui avait mis en scène des créatures visiblement très inspirées d’ALIEN dans SCARED TO DEATH et sa suite SYNGENOR, ainsi que dans CREATURE (initialement nommé TITAN FIND), approcha GIGER en 1990 et le convainquit de s’investir dans des projets censés restituer fidèlement à l’écran son univers cauchemardesque. Dans THE MIRROR, un miroir triangulaire mène à un monde de créatures biomécaniques qui veulent féconder une femelle humaine. THE DEAD STAR devait plonger le spectateur dans un monde démoniaque où les morts sont ressuscités, sous la supervision d’un Satan doté de plusieurs faces et de gigantesques cornes. La modestie des budgets alloués à William MALONE laissait cependant entrevoir peu d’espoir que ces projets fort ambitieux puissent se concrétiser.


Peinture de GIGER du démon cornu, au-dessus d'un corps féminin ressuscité, qui devait apparaître dans DEAD STAR, et croquis de l'entité extraterrestre biomécanique rendant la vie aux disparus.

Par ailleurs, GIGER ne parvint pas à intéresser à un projet assez déconcertant, THE MYSTERY OF SAN GOTARDO. Il était question d’une organisation militaire ayant créé par manipulations génétiques sous le tunnel du Saint Gottard une armée de soldats réduits à un bras et une jambe; un homme devait devenir amoureux d’un de ces êtres réduits à la portion congrue, qui avait développé une forme de conscience.

NOUVELLES ATTENTES ET NOUVELLES DÉSILLUSIONS
 Tout en poursuivant sa carrière au gré des créations artistiques diverses et des expositions, l’artiste n’avait en dépit de ses déconvenues pas perdu tout attrait pour le domaine cinématographique. Evincé d’ALIENS, Hans GIGER pensa l’heure de sa revanche venue lorsqu’il fut engagé sur la seconde suite en 1992. Le plasticien aspirait à renouveler le concept de sa créature pour ALIEN 3. Le scénario original qui imaginait que durant la phase d’incubation, la créature s’imprègne de certaines caractéristiques de son hôte, de telle sorte que la forme adulte présente une forme quelque peu hybride, poussa à envisager que l’Alien issu d’un animal adopte la posture quadrupède – quelques essais furent d’ailleurs réalisés par l’équipe des effets spéciaux d’Alec GILLLIS et Tom WOODRUFF sur des chiens, comme une lointaine réminiscence de SWISS MADE. Durant plus d’un mois, encouragé par l’assurance du metteur en scène David FINCHER que seuls des modèles robotisés, et non un figurant costumé, auraient la tâche de la représenter, GIGER conçut une créature élégante, d’allure féline, dotée de longues jambes. Il se montra désireux d’en livrer une conception féminisée, en lui prêtant des lèvres charnues féminines, afin que celle-ci délivre réellement « le baiser qui tue ». Il voulait aussi changer la mâchoire intérieure protractile en une langue bordée d’épines tranchantes. Enfin, après avoir tenté de justifier la présence des tubes dorsaux - originellement ajoutés pour s’écarter de la morphologie humaine - comme équilibrant la longue tête, le peintre fit connaître sa préférence pour leur suppression. Si sur ce point il sera entendu par les créateurs d’effets spéciaux d’Amalgamated Dynamics, David FINCHER choisit finalement pour l’essentiel la cohérence, la créature, en dépit de sa vélocité, restant proche de ses incarnations précédentes au cinéma, ce qui donna à nouveau à GIGER l’occasion de déplorer qu’on n’ait pas pris en compte ses différentes ébauches.
Face hugger royal dessiné par GIGER. 
 Version quadrupède du chest burster pour ALIEN 3 surnommée "Bambi alien", très différente de celui du premier film dont les membres n'étaient pas encore développés. 

Maquette de l'Alien quadrupède de GIGER.
 En 1994, GIGER reçut la mission de dessiner la voiture du super héros pour BATMAN FOREVER, lui donnant une forme de chromosome; trop audacieux sans doute, le concept ne sera pas utilisé.
 Avec LA MUTANTE (SPECIES), GIGER entrevit une nouvelle opportunité de porter à l’écran une de ses créations féminines biomécaniques fantasmatiques, au travers de l’histoire de cette créature issue d’un zygote humain mêlé avec de l’A.D.N. extraterrestre, capable de changer soudain son apparence en une forme effrayante. Steve JOHNSON qui supervisait les effets spéciaux de maquillage pour la compagnie Boss film de Richard EDLUND, appréhendait les contacts avec GIGER, ayant déjà occupé la même fonction au temps de POLTERGEIST 2, et se rappelant les récriminations de l’artiste suisse. Aussi demandait-il à ses collaborateurs de filtrer les appels, ne consentant à recueillir que de temps à autre les longues doléances du concepteur visuel depuis la Suisse.


 Une rencontre entre l'artiste suisse et le créateur d'effet spéciaux Steve JOHNSON ( à gauche), que GIGER est venu visiter sur le tournage du film ANACONDA.

La créature la plus originale du film, celle apparaissant dans le laboratoire qui est composée à 100% d’A.D.N. extraterrestre, n’a cependant pas été conçue par GIGER mais imaginée entièrement par Steve JOHNSON lui-même, s’ingéniant avec succès à lui appliquer une apparence cohérente avec le style biomécanique de l’artiste.
 Les sentiments de GIGER sur le rendu de sa création furent mitigés. Il se montra particulièrement satisfait de la version mécanique translucide de la mutante Sil portant à sa bouche l’extrémité extensible d’un mamelon. La première étape de la métamorphose de la jeune Sil en femme adulte lui déplut par contre ; au lieu des vers sortant de la peau de la jeune fille, qu’il avait même sculptés en silicone et envoyés à Hollywood, l’équipe des effets spéciaux préféra des tentacules créés par ordinateur à la place. Une fois les extensions réunies, celles-ci constituent un cocon, réalisé par l’équipe de Steve JOHNSON à l’aide de sachets plastiques chauffés et soudés, lequel eut davantage son assentiment. La conception d’images par ordinateur fut aussi utilisée pour représenter Sil pour certains plans, ainsi que pour donner vie à son rejeton, ce que GIGER désapprouva fortement, estimant à juste titre que ce procédé faisait perdre beaucoup en réalisme et qu’on aurait très bien pu utiliser les costumes et les versions mécaniques pour réaliser les scènes – il faut dire qu’à l’époque Steve JOHNSON était le premier maquilleur à se montrer séduit par les effets spéciaux engendrés informatiquement, avant de devenir par la suite l’un de ses plus grands détracteurs, proclamant sur son site « rubber rules » ( « il n’y a pas mieux que le caoutchouc-latex» ).


 GIGER décela dans LA MUTANTE la possibilité de conférer son ampleur maximale à sa vision d’un train infernal, dont la forme de chaque wagon était basée sur un crâne gigantesque, dont il avait déjà réalisé une version dans sa propriété, et qu’il avait en tête lorsqu’il œuvrait sur le projet de Ridley SCOTT non concrétisé, THE TRAIN. Dans LA MUTANTE, ce véhicule surréaliste apparaît dans des cauchemars de Sil renvoyant à une mémoire génétique. GIGER se consacra à la construction du train et du décor à Zurich, en Suisse, mais le film n’en conserve à son grand regret qu’un bref plan.


 Egalement échaudé par une rétribution financière qu’il estimait ne pas correspondre à ce qu’il lui était dû ainsi que par l’absence de son nom sur la brochure présentant l’équipe du film lorsque celui-la fut projeté au Festival de Deauville, GIGER déclara amer qu’il ne voudrait plus rien avoir  à faire avec une éventuelle suite du film à moins qu’on ne lui proposât de renouveler complètement le concept. Il se retrouva ainsi engagé pour imaginer une version masculine du monstre pour LA MUTANTE 2 (SPECIES 2). Encore une fois, cependant, il se montra déçu par le résultat bien que l’équipe de Steve JOHNSON ne ménagea pas ses efforts pour animer la marionnette géante translucide représentant la créature quadrupède surdimensionnée qui rappelle le sphinx légendaire.

GIGER au travail sur LA MUTANTE 2.
 Le peintre suisse s’était quelque peu tenu éloigné du cinéma durant ces dernières années. Il eut cependant récemment le plaisir de rencontrer de nouveau Ridley SCOTT, qui le consulta pour la préparation de PROMETHEUS, le film conçu comme une préquelle d’ALIEN pour lequel l’artiste fit quelques esquisses. Il se montra touché que le réalisateur reconnaisse l’importance de son approche esthétique dans la création de l’univers bâti autour d’ALIEN.


Hans GIGER retrouve Ridley SCOTT discutant des concepts artistiques de PROMETHEUS.




Deux dessins de la dernière collaboration de GIGER au cinéma, sur le film PROMETHEUS : la créature vermiforme "hammerpede" et le foetus mutant.

GIGER a imposé son style biomécanique dans les différents arts. Au cinéma, son travail sur ALIEN a suscité bien des émules à commencer par les films de William MALONE. Le guerrier du futur de SCARED TO DEATH et SYNGENOR est très proche de l’Alien, de même que l’extraterrestre de CREATURE. Celui de DARK UNIVERSE n’est pas en reste. Le monstre adulte de MUTANT (FORBIDDEN WORLD) évoque un peu une synthèse d’Alien avec sa gueule dentée sombre et ses pattes articulées qui sont analogues à celles du face hugger du film de Ridley SCOTT. Quand aux créatures de L’INVASION DES COCONS (DEEP SPACE), leur évolution n’est pas sans convoquer certains éléments des phases imaginées par GIGER, avec les nouveaux nés aux nombreuses pattes articulées, et l’adulte à la peau anthracite, à l’énorme gueule carnassière et au crâne allongé. La pyramide de LA GALAXIE DE LA TERREUR évoque celle d’ALIEN (même si elle renvoie davantage à celle dessinée par Chris FOSS qu’à celle plus ovoïde peinte par GIGER). Des vaisseaux spatiaux organiques apparaissent quant à eux dans des films comme LIFEFORCE, L’INVASION VIENT DE MARS (INVADERS FROM MARS) et BUCKAROO BANZAI. Il n’est pas jusqu’au pistolet apparu au travers même de la chair sur la main de Max Renn (James WOODS) dans VIDEODROME de CRONENBERG qui n’évoque pas l’esthétique biomécanique de GIGER, déclinée par la suite dans des productions extrême-orientales comme le film japonais TETSUO. L’art de GIGER était apprécié au Japon, et il y fit construire les décors de plusieurs bars. L’un d’eux accueillait les fauteuils des Harkonnen créés pour la tentative d’adaptation de DUNE par Ridley SCOTT ; il fut finalement fermé après que la mafia japonaise en eut fait un de ses lieux de rendez-vous privilégiés, illustrant ainsi que l’univers de GIGER était toujours sulfureux...
 Considéré comme amical en privé, plutôt réservé en public, GIGER a aussi laissé l’image d’un artiste exigeant, difficile à satisfaire car très attaché à une parfaite restitution de son art notamment au cinéma, ce qui amena Steve JOHNSON a lui rendre un hommage pour le moins ambigu, tant son admiration se mêlait au souvenir de la tension latente de leurs collaborations professionnelles. GIGER sera en tout cas parvenu à ce que son œuvre soit reconnue et respectée aussi bien dans le monde des galeries d’art que dans celui du cinéma fantastique hollywoodien, et il demeurera encore longtemps à n’en point douter une référence.





site officiels : 
http://www.hrgiger.com/
https://giger.com/gigerframeset.php
musée Giger :
http://www.hrgigermuseum.com

 

mardi 20 mai 2014

C’ETAIT LE DERNIER DE L'AGE D'OR DE LA B.D. AMERICAINE DE SCIENCE-FICTION












Décédé le 29 avril 2014 à l’âge de 89 ans, Albert Bernard FELDSTEIN était un dessinateur américain, notamment renommé pour sa contribution au journal satirique MAD. Il était également l’auteur de l'image ayant servi de couverture pour l’adaptation en bande dessinée des CHRONIQUES MARTIENNES (MARTIAN CHRONICLES) d’après Ray BRADBURY, évoquée dans l’hommage consacré à l’écrivain, image iconique d'une période fastueuse.

Un talent précoce
Après avoir gagné en 1938 le prix du concours d’affiche pour l’exposition universelle devant se tenir à New-York l’année suivante, Al FELDSTEIN qui y avait vu le jour le 24 octobre 1925, décide de faire de l’illustration son métier. Tout en étudiant la peinture au lycée à Manhattan, il travaille pour une somme modique pour l’éditeur de bandes dessinées Iger, d’abord comme garçon de courses, puis est chargé de dessiner les taches de la parure en peau de léopard du personnage de SHEENA, LA REINE DE LA JUNGLE (SHEENA, QUEEN OF THE JUNGLE), et enfin d’encrer des décors, avant de se voir en définitive confier la responsabilité de créer des pages entières. Inscrit à l’université, il prend conjointement des cours dans une école d’art, jusqu’à ce qu’à 17 ans, en juillet 1943, il soit mobilisé par l’armée de l’air, ses talents étant alors utilisés pour réaliser des insignes pour les tenues, des décorations sur les avions, des fresques murales, et une bande dessinée interne à la base dans laquelle il officie.
Rendu à la vie civile, il abandonne son projet de devenir professeur au bénéfice de la rémunération plus importante que lui propose la maison d’édition Iger, avant de se mettre à son compte et de travailler pour divers éditeurs, mais l’essentiel de sa carrière se fera sous les auspices de l’éditeur de bandes dessinées policières E.C. Comics, William (dit Bill) GAINES, pour le compte duquel il œuvre à partir de 1948; il le convainquit rapidement de l'intérêt d'utiliser le style percutant des bandes dessinées d'action de la maison pour l'appliquer à des histoires fantastiques suscitant l'effroi.

Un foisonnement d’épouvante illustrée

Ainsi apparaissent CRYPT OF TERROR (bientôt rebaptisé TALES FROM THE CRYPT) et THE VAULT OF TERROR, titres auxquels vient s’ajouter THE HAUNT OF FEAR. Al FELDSTEIN crée aussi les personnages sardoniques et inquiétants, le Gardien de la crypte, le Gardien du caveau et la Vieille sorcière, qui introduisent les récits et les concluent de manière sarcastique, et sont inspirés des feuilletons radiophoniques que Bill GAINES et lui-même affectionnent, tels qu’INNER SANCTUM et LIGHTS OUT. On retrouvera cette présentation dans la série télévisée réalisée de 1989 à 1996 qui en est l’adaptation, LES CONTES DE LA CRYPTE produite par la chaîne HBO (TALES FROM THE CRYPT) basée sur ces albums ainsi que sur ceux d’inspiration souvent plus policière mais tout aussi macabres, CRIME SUSPENSTORIES, SHOCK SUSPENSTORIES et TWO-FISTED TALES de la maison d'édition. La série est fidèle à l’humour très noir qui imprègne les histoires, même si la cruauté des dénouements ne va pas néanmoins sans une certaine morale, les personnages étant généralement châtiés pour leurs turpitudes à l’instar de la fin des contes populaires. On avait évoqué un épisode en particulier dans lequel Kevin McCARTHY avait la vedette à l’occasion de l’hommage proposé lors de la disparition de l’acteur. Nombre de noms célèbres ont réalisé des épisodes, comme les acteurs Arnold SCHWARZENEGGER et Tom HANKS, et les réalisateurs Robert ZEMECKIS, Richard DONNER, John FRANKENHEIMER, Russell MULCAHY, Tobe HOOPER et Freddie FRANCIS, lequel avait porté en 1972 certaines histoires sur le grand écran sous le nom de TALES OF THE CRYPT pour la société de production Amicus. Aussi, en dépit de leur réputation d’histoires de mauvais goût visant le sensationnalisme malsain, ces bandes dessinées sont entrées dans la culture populaire et bien des artistes les citent comme sources d’inspiration. L’écrivain Stephen KING et le réalisateur George ROMERO s’étaient associés en 1982 pour concevoir un film à sketchs conçu comme un hommage aux bandes dessinées E.C. Comics, CREEPSHOW, qui, tout en étant basé sur des histoires imaginées par l’écrivain en retrouvaient l’esprit, les sketchs étant de surcroît là aussi présentés par un personnage ironique à l’apparence pour le moins décharnée - Stephen KING réitéra l’expérience avec CREEPSHOW 2, le personnage y apparaissant cette fois lors de séquences sous forme de dessins animés. Rob BOTTIN, concepteur des effets spéciaux de THE THING (1982), reconnaîtra aussi l’influence que ces bandes dessinées ont eu sur lui, admettant qu’il en avait tiré directement l’idée du personnage dont la tête se détache pour s’émanciper du corps.
Même si une de ces histoires comportait une entité protoplasmique vorace rappelant les Shoggoths dépeints par Howard Philip LOVECRAFT et que dans une autre aventure, MA FEMME EST MONSTRUEUSE (KAMEN’S KALAMITY), l’épouse acariâtre d’un auteur de bandes dessinées se change en monstre à ses yeux, ces bandes dessinées comportaient fort peu de créatures, si l’on excepte les « monstres classiques » comme les morts-vivants et les loups-garous.


Une couverture de la bande dessinée d'horreur THE VAULT OF HORROR; un petit coin à l'ombre dans lequel il ne fait pas bon vivre..

Extraterrestres à foison
Ce n’était pas le cas de d’autres productions E.C. Comics dans la veine de la science-fiction, WEIRD SCIENCE et WEIRD FANTASY, qui sous la direction d'Al FELDSTEIN, renouaient avec l’imagerie des extraterrestres pittoresques des pulps – d’autant plus que Bill GAINES y recherchait son inspiration, en choisissant certains sujets parmi les récits déjà publiés, et en demandant à ses auteurs d’élaborer une nouvelle histoire en reprenant les prémisses de l’original, comme THE MICRO RACE ! qui puisait ses sources dans LE DIEU MICROSCOMIQUE (MICROCOSMIC GOD) de Theodore STURGEON; des œuvres d’autres auteurs de pulps moins connus du lectorat français comme Henry HASSE et Donald WANDREI servirent aussi de base à ces bandes dessinées. Le procédé n’échappa pas à un des écrivains concernés, Ray BRADBURY, lequel, comme on l’avait relaté dans l’hommage consacré à ce dernier, écrivit à l’éditeur pour le féliciter du travail réalisé et s’enquérir avec humour de sa rétribution qui ne lui était pas encore parvenue. L’approche malicieuse de l’auteur fut fructueuse, l’éditeur reconnut ce qu’il lui devait, lui paya la somme requise et une collaboration cette fois officielle débuta entre les deux parties.


Ce petit monstre dessiné par Al FELDSTEIN n'a rien à voir avec une inoffensive petite pieuvre, puisqu'il s'agit de l'inquiétante créature de l'espace de SEEDS OF JUPITER ("les graines de Jupiter").

Al FELDSTEIN était entouré de d’autres dessinateurs de talent.

Autour d'Al FELDSTEIN ( et de l'éditeur Bill GAINES ) se trouvaient notamment Al WILLIAMSON et Wally WOOD (haut), Joe ORLANDO et Jack KAMEN (bas) - à noter qu'on voit sur la porte derrière Joe ORLANDO les noms gravés de l'éditeur William GAINES et en plus petit d'Al FELDSTEIN.
Wallace Alan WOOD dit Wally WOOD (17 juin 1927-2 novembre 1981) a également réalisé durant une décennie des illustrations pour le magazine littéraire GALAXY SCIENCE-FICTION. On lui doit aussi les modèles de la série de cartes à collectionner MARS ATTACKS pour la marque de chewing gum Topps, ayant servi d'inspiration à la comédie cinématographique homonyme de Tim BURTON. Personnalité tourmentée et sujette à des migraines fréquentes, une addiction à l’alcool lui occasionna des troubles rénaux et il finit par mettre fin à ses jours par balles après avoir perdu l’usage d’un œil à la suite d’une attaque. Amer, il déclara peu avant que s’il devait recommencer sa vie, la première chose qu’il ferait serait de se couper les mains, pensée tristement révélatrice de son implication absolue dans son art, laquelle lui valut d’être consacré meilleur dessinateur en 1965 et meilleur encreur en 1966 au titre des Alley Awards, qui récompensent les auteurs de bandes dessinées, et meilleur dessinateur étranger au Festival de la bande dessinée d’Angoulême en 1978. La confession désabusée de Wally WOOD éclaire significativement la bande dessinée aux dessins desquels il avait contribué, publiée dans le numéro 39 de la revue CREEPY en 1974, OVERWORKED ("surmené"), dans laquelle un dessinateur d'histoires fantastiques et de science-fiction, obsédé par les univers qu'il doit concrétiser et pressé de rendre toujours plus de planches par les éditeurs, finit littéralement par être absorbé par la planète extraterrestre qu'il était en train de dessiner... Un site lui est consacré : http://wallywoodart.blogspot.fr/.


Un autoportrait de Wally WOOD clôturant la bande dessinée MY WORLD, un plaidoyer pour les émotions que procure la science-fiction et son merveilleux dépaysement, noble profession de foi à laquelle se montreront visiblement insensibles ceux qui devaient bientôt faire s'abattre une censure intransigeante sur les histoires extraordinaires publiées par E.C. Comics.

Au moins, cet impitoyable extraterrestre qui apparaît brièvement dans MY WORLD n'est pas fallacieusement à "visage humain" !


Quand un dessinateur se sent lui-même entraîné dans les univers cauchemardesques auxquels il donne vie au point d'y disparaître : OVERWORKED et son extraterrestre un peu trop pressant dans CREEPY  - une probable émanation tragique de Wally WOOD.

Al WILLIAMSON (21 mars 1931-12 juin 2010) a été régulièrement le collaborateur du renommé Frank FRAZETTA, puis de Frank KIRBY. Il a repris plusieurs bandes dessinées d’Alex RAYMOND après la disparition de leur créateur, notamment FLASH GORDON, dont, juste retour des choses, il conçut aussi l’adaptation en bande dessinée du film produit par Dino de LAURENTIIS qui avait porté le personnage sur le grand écran ( le dessinateur avait d’ailleurs aussi un temps envisagé de consacrer une série, SAVAGE WORLD, à des aventures dont le principal protagoniste n’était autre que Buster CRABBE, l’acteur ayant interprété Flash Gordon dans les serials des années 1930 ). Al WILLIAMSON fut choisi par la compagnie de Georges LUCAS pour réaliser l’adaptation en bande dessinée de L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE (THE EMPIRE STRIKES BACK), suivie de celle du RETOUR DU JEDI (RETURN OF THE JEDI), de même que celle de BLADE RUNNER. En 1995, il reviendra à nouveau à FLASH GORDON pour une nouvelle aventure. Très appliqué, avec un style qui rappelle quelque peu celui du français Paul GILLON, il devait régulièrement travailler comme encreur pour gagner un revenu que sa seule production graphique seule ne pouvait lui assurer, oeuvrant comme encreur pour les éditeurs Marvel, DC Comics et Dark Horse comics.
Comme Al FELDSTEIN, Joe ORLANDO et Jack KAMEN travaillèrent pour la revue MAD après la fin des E.C. Comics.
D’origine italienne, Joe ORLANDO accumula les prix très jeune. Il dessina aussi nombre d’histoires de pirates et occupa également par ailleurs au sein de l’univers de la bande dessinée les fonctions de scénariste et d’éditeur.
Jack KAMEN commença par travailler comme sculpteur pour l’exposition du centenaire de l’indépendance du Texas. Comme son titre original KAMEN’S KALAMITY (changé en KORMAN’S KALAMITY pour l’adaptation en tant qu' épisode de la série télévisée LES CONTES DE LA CRYPTE ) l’indique expressément, son histoire MA FEMME EST MONSTRUEUSE, relatant comment une histoire sentimentale peut dégénérer, est inspiré en partie de son expérience personnelle. Il a aussi œuvré pour la publicité, retravaillant au crayon de couleur ses peintures séchées artificiellement. Deux enfants de Jack KAMEN se sont consacrés à la recherche, Dean en particulier est connu pour avoir déposé 400 brevets.
Les bandes dessinées de science-fiction d’E.C. Comics donnaient vie au genre d'aventures spatio-temporelles échevelées des magazines littéraires des décennies précédentes, sans se départir d’un humour souvent caustique. Dans NÉ DE L’ESPACE (SPACE BORN), d’Al WILLIAMSON, un astronaute tue une créature lui paraissant menaçante, laquelle s’avère être son propre rejeton étonnamment métamorphosé par des facteurs inconnus semble-t-il destinés à l’adapter au monde extraterrestre dans laquelle sa compagne lui avait accidentellement donné la vie, comme celle-ci le révèle une fois l’irrémédiable commis. 

Un enfant de l'espace tendant ses petits bras en quête d'affection ?

ÉLEVAGE INTENSIF (PLUCKED !) de Wally WOOD est particulièrement notable et représentatif; lors de la soirée de Thanksgiving réunissant deux couples, les deux hommes dissertent sur de régulières disparitions de populations au cours de l’histoire ( sujet qui a aussi notamment inspiré le roman SPECTRE (PHANTOMS) de Dean KOONTZ ), tandis que des extraterrestres font soudain irruption et emportent sans qu’ils s’en aperçoivent les deux épouses dodues telles des dindes grasses pour un usage qu’on devine analogue à la tradition fêtée par les convives. S’interrogeant sur l’absence de témoins permettant de valider sa théorie, l’audacieux auteur de l’hypothèse en déduit fort justement que ceux qui auraient été exposés à de tels faits auraient probablement été hypnotisés, et les deux compères s’accordent finalement sur le plaisir qu’ils ont depuis tant d’années à fêter Thanksgiving en célibataires.. 


Une scène particulièrement intense d'ÉLEVAGE INTENSIF et ses horrifiants ravisseurs extraterrestres dessinés par Wally WOOD qui tiennent à la fois du gorille et de la mygale !


Une autre créature extraterrestre de Wally WOOD -"Tu as de beaux yeux, tu sais?.. Il n'y a pas d'heure pour les baves..!"

Une autre création de Wally WOOD pour ceux qui n'auraient pas trouvé la créature précédente suffisamment expressive...


L'apparence générale de ce monstre extraterrestre dessiné par Wally WOOD pour THE MANHUNTERS, publié en 1974 dans le numéro 60 du magazine EERIE n'est pas sans rappeler celui qu'il avait conçu pour LES MARTIENS dans WEIRD SCIENCE. 

L’être humain lui-même n’est pas moins monstrueux que les créatures de l’espace, de l’astronaute qui tue tous les hommes en hibernation de la future coloniale spatiale pour pouvoir tenir toutes les femmes à sa seule disposition une fois celles-ci ranimées de 50 GIRLS 50, d' Al WILLIAMSON, à celui de SOUS CLÉ (KEYED UP), de Joe ORLANDO, qui laisse volontairement mourir son collègue à l’extérieur du vaisseau spatial sans se douter que les semelles aimantées de la victime vont l’arrimer à la coque métallique jusqu’à son retour sur Terre, terrible preuve accusatrice du crime dont il devra répondre si la vue permanente du visage putréfié au travers du hublot ne le fait pas basculer dans la démence d’ici là. Moins atroce, mais tout aussi malicieuse, la chute des MARTIENS (THE MARTIANS) de Wally WOOD révèle que les êtres humains étaient considérés par les habitants disparus de Mars comme trop affreux pour que la diffusion d'un film dans lequel leur image apparaissait soit interdite de vision par "tous les Martiens âgés de moins de quinze tentacules". Wally WOOD n’hésite pas dans E.C. CONFIDENTIEL (E.C. CONFIDENTIAL) à présenter les différents contributeurs de WEIRD SCIENCE réunis autour de Bill GAINES comme des Vénusiens exilés tentant d’avertir l’humanité au travers de leurs bandes dessinées des périls immanents dont elle n’a pas conscience.


Un cadavre bien encombrant dans SOUS CLÉ, histoire qui n'est pas sans rappeler les fins morales cruelles des E.C. Comics d'horreur comme LES CONTES DE LA CRYPTE ( le faciès horriblement décati de la victime est un peu trop morbide pour que l'image intégrale puisse être présentée ici à un public non averti qu'on a déjà mis à rude épreuve avec celle d'ÉLEVAGE INTENSIF...).

Ceux qui ont vu le film LES SURVIVANTS DE L'INFINI (THIS ISLAND EARTH) de Joseph NEWMAN de 1955 ne seront pas dépaysés par la vision de ce couple captif tenu dans un cylindre à l'intérieur de la soucoupe volante de leurs ravisseurs dans cette illustration d'Al FELDSTEIN de 1951.

La créature venue de la Quatrième dimension (MONSTER FROM THE 4TH DIMENSION), née sous le crayon d'Al FELDSTEIN en 1951, a fait l'objet en 1953 d'une nouvelle adaptation en noir et blanc confiée à Bernard KRIGSTEIN.

 Cet humour ne restait pas toujours cantonné aux pages des périodiques. Un jour, la collaboratrice du jeune Al WILLIAMSON âgé de 22 ans, chargé de mettre ses dessins en couleurs, renversa abondamment de l’encre sur ses planches sur lesquelles il avait passé des jours à travailler minutieusement, mettant celui-là dans un état qu’on peut facilement se figurer, avant que celle-ci lui révèle qu’il s’agit d’encre sympathique de farces et attrapes qui va bientôt s’estomper. Un contributeur plus occasionnel des séries de science-fiction, Will ELDER, alla dans ses jeunes années jusqu’à disposer à proximité de voies à grande vitesse un amas de viande et de vieux vêtements, en criant « Mickey est tombé !», de sorte que les mères de famille qui avaient un fils prénommé ainsi accoururent affolées; une facétie dont l’effroi l’emporte incontestablement sur la drôlerie.

La "fin tragique des E.C. Comics"
Peut-être parce qu'elles s'adressaient moins à un public adolescent plus féru d'émotions fortes que de dépaysement et de distanciation quelque peu philosophique, les deux revues de science-fiction WEIRD SCIENCE et WEIRD FANTASY ne rencontrèrent pas le succès qu’elles méritaient, à la différence des bandes dessinées d’horreur des E.C. Comics, mais les bénéfices rapportées par ces dernières permettaient cependant à Bill GAINES de les conserver. Néanmoins, l’inflation finit par le contraindre à les fusionner sous le titre de WEIRD SCIENCE FANTASY. 
Par ailleurs, la violence explicite des bandes dessinées d’horreur, en dépit de la morale qui clôt généralement l’histoire, fut perçue par certains hommes politiques comme inappropriée pour les adolescents, et, en réponse à ces attaques, les éditeurs de bandes dessinées élaborèrent en 1954 le Code comics qui aboutit la même année à la Comics code Authority. Bill GAINES est contraint de s’y conformer pour que ses bandes dessinées puissent être diffusées par les distributeurs. S'il est un domaine dans lequel, à l'instar de l'histoire E.C. CONFIDENTIEL qui les mettait en scène, les auteurs de WEIRD SCIENCE avaient eu une préfiguration de l'avenir, c'est bien en anticipant d'une certaine façon la censure s'abattant sur les représentations de créatures étranges dont le jeune public devait être protégé, comme manifesté dans LES MARTIENS de Wally WOOD, histoire qui apparaît étrangement prophétique et satirique rétrospectivement, avec ces Martiens qui considéraient l'être humain comme trop repoussant pour que la diffusion d'un film dans lequel leur image apparaissait soit interdite de vision par "tous les Martiens âgés de moins de quinze tentacules"... Les monstres tels que loups-garous et vampires sont ainsi interdits par le code des bandes dessinées, et même le terme « weird » (étrange) est banni, de sorte que le titre WEIRD SCIENCE FANTASY doit être changé en INCREDIBLE SCIENCE-FICTION pour recevoir l’habilitation; Bill GAINES se voit signifier que les mutants aussi sont interdits, ce qui amène finalement l’éditeur à renoncer définitivement aux bandes dessinées fantastiques et à se concentrer sur le magazine caustique MAD qui n’est pas soumis à cette autocensure ayant fini par perdre toute mesure, et dont le succès ne s'est pas démenti depuis lors.
L'éditeur Bill GAINES a passé un mauvais moment quand les bandes dessinées fantastiques des E.C. comics sont passées à la trappe..


En 1984, cette couverture d'Al FELDSTEIN présentant une créature de l'espace ressemblant à une sorte de gigantesque et inquiétant ver annelé marin sédentaire ( on sait depuis l'écrivain Salman RUSHDIE que "les vers, c'est satanique" !.. ) a été reprise, avec une nouvelle colorisation lui prêtant le plus beau rouge carmin, pour une édition française en bandes dessinées des CHRONIQUES MARTIENNES d'après Ray BRADBURY, reprenant les adaptations d'après l'auteur réalisées dans les années 1950 - bien que l'album ne comportait en réalité pas davantage de monstres que dans l'oeuvre littéraire initiale.

Bill GAINES nomma ainsi en 1955 Al FELDSTEIN rédacteur en chef du magazine satirique MAD et celui-ci en dessina notamment la figure iconique, le garçonnet roux au visage fat. 

Le fameux personnage créé par Al FELDSTEIN pour la revue parodique MAD, en compagnie d'un hôte non moins célèbre...


Cette créature menaçante, la Bête de la lune de Jupiter, n'est pas issue d'une nouvelle de Clark Ashton SMITH, mais d'une fausse couverture conçue par Will ELDER. On appréciera au passage la tenue minimaliste du personnage féminin. Le titre fait allusion à l'impossibilité scientifique des histoires de la publication fictive.

A partir de 1984, Al FELDSTEIN se consacre presque exclusivement à la peinture très soignée de paysages du Montana et d’animaux sauvages, confirmant son éclectisme. Son site officiel (http://www.alfeldstein.com/) a fini par disparaître, mais on peut trouver un échantillon de son art sur ce lien : https://fineartamerica.com/profiles/al-feldstein.

Des créatures bien réelles sur cette magnifique peinture intitulée "Motherspride" ("la fierté d'une mère"). 
Si les bandes dessinées de science-fiction E.C. Comics n’ont inspiré qu’un seul film, WEIRD SCIENCE de John HUGUES en 1985, une comédie moralisatrice sur des adolescents aspirant à créer la femme idéale, elles incarnent un âge d’or dont on peut quelque peu retrouver l’esprit dans une série des années 1960 comme AU-DELÀ DU RÉEL (THE OUTER LIMITS), riche en savants fous et en monstres pittoresques, se terminant également souvent par une chute percutante, même si l’humour caustique y est moins présent. Les bandes dessinées d'horreur d'E.C. Comics ont quant à elle acquis une belle notoriété et l'association internationale des écrivains d'horreur, la Horror writers association, a ainsi décerné en 2010 le prix Bram Stoker (d'après le nom de l'auteur du roman DRACULA) à Al FELDSTEIN. La disparition de celui-constitue une occasion de rendre ici un nécessaire hommage à cette glorieuse page de la culture populaire.