mardi 20 mai 2014

C’ETAIT LE DERNIER DE L'AGE D'OR DE LA B.D. AMERICAINE DE SCIENCE-FICTION












Décédé le 29 avril 2014 à l’âge de 89 ans, Albert Bernard FELDSTEIN était un dessinateur américain, notamment renommé pour sa contribution au journal satirique MAD. Il était également l’auteur de l'image ayant servi de couverture pour l’adaptation en bande dessinée des CHRONIQUES MARTIENNES (MARTIAN CHRONICLES) d’après Ray BRADBURY, évoquée dans l’hommage consacré à l’écrivain, image iconique d'une période fastueuse.

Un talent précoce
Après avoir gagné en 1938 le prix du concours d’affiche pour l’exposition universelle devant se tenir à New-York l’année suivante, Al FELDSTEIN qui y avait vu le jour le 24 octobre 1925, décide de faire de l’illustration son métier. Tout en étudiant la peinture au lycée à Manhattan, il travaille pour une somme modique pour l’éditeur de bandes dessinées Iger, d’abord comme garçon de courses, puis est chargé de dessiner les taches de la parure en peau de léopard du personnage de SHEENA, LA REINE DE LA JUNGLE (SHEENA, QUEEN OF THE JUNGLE), et enfin d’encrer des décors, avant de se voir en définitive confier la responsabilité de créer des pages entières. Inscrit à l’université, il prend conjointement des cours dans une école d’art, jusqu’à ce qu’à 17 ans, en juillet 1943, il soit mobilisé par l’armée de l’air, ses talents étant alors utilisés pour réaliser des insignes pour les tenues, des décorations sur les avions, des fresques murales, et une bande dessinée interne à la base dans laquelle il officie.
Rendu à la vie civile, il abandonne son projet de devenir professeur au bénéfice de la rémunération plus importante que lui propose la maison d’édition Iger, avant de se mettre à son compte et de travailler pour divers éditeurs, mais l’essentiel de sa carrière se fera sous les auspices de l’éditeur de bandes dessinées policières E.C. Comics, William (dit Bill) GAINES, pour le compte duquel il œuvre à partir de 1948; il le convainquit rapidement de l'intérêt d'utiliser le style percutant des bandes dessinées d'action de la maison pour l'appliquer à des histoires fantastiques suscitant l'effroi.

Un foisonnement d’épouvante illustrée

Ainsi apparaissent CRYPT OF TERROR (bientôt rebaptisé TALES FROM THE CRYPT) et THE VAULT OF TERROR, titres auxquels vient s’ajouter THE HAUNT OF FEAR. Al FELDSTEIN crée aussi les personnages sardoniques et inquiétants, le Gardien de la crypte, le Gardien du caveau et la Vieille sorcière, qui introduisent les récits et les concluent de manière sarcastique, et sont inspirés des feuilletons radiophoniques que Bill GAINES et lui-même affectionnent, tels qu’INNER SANCTUM et LIGHTS OUT. On retrouvera cette présentation dans la série télévisée réalisée de 1989 à 1996 qui en est l’adaptation, LES CONTES DE LA CRYPTE produite par la chaîne HBO (TALES FROM THE CRYPT) basée sur ces albums ainsi que sur ceux d’inspiration souvent plus policière mais tout aussi macabres, CRIME SUSPENSTORIES, SHOCK SUSPENSTORIES et TWO-FISTED TALES de la maison d'édition. La série est fidèle à l’humour très noir qui imprègne les histoires, même si la cruauté des dénouements ne va pas néanmoins sans une certaine morale, les personnages étant généralement châtiés pour leurs turpitudes à l’instar de la fin des contes populaires. On avait évoqué un épisode en particulier dans lequel Kevin McCARTHY avait la vedette à l’occasion de l’hommage proposé lors de la disparition de l’acteur. Nombre de noms célèbres ont réalisé des épisodes, comme les acteurs Arnold SCHWARZENEGGER et Tom HANKS, et les réalisateurs Robert ZEMECKIS, Richard DONNER, John FRANKENHEIMER, Russell MULCAHY, Tobe HOOPER et Freddie FRANCIS, lequel avait porté en 1972 certaines histoires sur le grand écran sous le nom de TALES OF THE CRYPT pour la société de production Amicus. Aussi, en dépit de leur réputation d’histoires de mauvais goût visant le sensationnalisme malsain, ces bandes dessinées sont entrées dans la culture populaire et bien des artistes les citent comme sources d’inspiration. L’écrivain Stephen KING et le réalisateur George ROMERO s’étaient associés en 1982 pour concevoir un film à sketchs conçu comme un hommage aux bandes dessinées E.C. Comics, CREEPSHOW, qui, tout en étant basé sur des histoires imaginées par l’écrivain en retrouvaient l’esprit, les sketchs étant de surcroît là aussi présentés par un personnage ironique à l’apparence pour le moins décharnée - Stephen KING réitéra l’expérience avec CREEPSHOW 2, le personnage y apparaissant cette fois lors de séquences sous forme de dessins animés. Rob BOTTIN, concepteur des effets spéciaux de THE THING (1982), reconnaîtra aussi l’influence que ces bandes dessinées ont eu sur lui, admettant qu’il en avait tiré directement l’idée du personnage dont la tête se détache pour s’émanciper du corps.
Même si une de ces histoires comportait une entité protoplasmique vorace rappelant les Shoggoths dépeints par Howard Philip LOVECRAFT et que dans une autre aventure, MA FEMME EST MONSTRUEUSE (KAMEN’S KALAMITY), l’épouse acariâtre d’un auteur de bandes dessinées se change en monstre à ses yeux, ces bandes dessinées comportaient fort peu de créatures, si l’on excepte les « monstres classiques » comme les morts-vivants et les loups-garous.


Une couverture de la bande dessinée d'horreur THE VAULT OF HORROR; un petit coin à l'ombre dans lequel il ne fait pas bon vivre..

Extraterrestres à foison
Ce n’était pas le cas de d’autres productions E.C. Comics dans la veine de la science-fiction, WEIRD SCIENCE et WEIRD FANTASY, qui sous la direction d'Al FELDSTEIN, renouaient avec l’imagerie des extraterrestres pittoresques des pulps – d’autant plus que Bill GAINES y recherchait son inspiration, en choisissant certains sujets parmi les récits déjà publiés, et en demandant à ses auteurs d’élaborer une nouvelle histoire en reprenant les prémisses de l’original, comme THE MICRO RACE ! qui puisait ses sources dans LE DIEU MICROSCOMIQUE (MICROCOSMIC GOD) de Theodore STURGEON; des œuvres d’autres auteurs de pulps moins connus du lectorat français comme Henry HASSE et Donald WANDREI servirent aussi de base à ces bandes dessinées. Le procédé n’échappa pas à un des écrivains concernés, Ray BRADBURY, lequel, comme on l’avait relaté dans l’hommage consacré à ce dernier, écrivit à l’éditeur pour le féliciter du travail réalisé et s’enquérir avec humour de sa rétribution qui ne lui était pas encore parvenue. L’approche malicieuse de l’auteur fut fructueuse, l’éditeur reconnut ce qu’il lui devait, lui paya la somme requise et une collaboration cette fois officielle débuta entre les deux parties.


Ce petit monstre dessiné par Al FELDSTEIN n'a rien à voir avec une inoffensive petite pieuvre, puisqu'il s'agit de l'inquiétante créature de l'espace de SEEDS OF JUPITER ("les graines de Jupiter").

Al FELDSTEIN était entouré de d’autres dessinateurs de talent.

Autour d'Al FELDSTEIN ( et de l'éditeur Bill GAINES ) se trouvaient notamment Al WILLIAMSON et Wally WOOD (haut), Joe ORLANDO et Jack KAMEN (bas) - à noter qu'on voit sur la porte derrière Joe ORLANDO les noms gravés de l'éditeur William GAINES et en plus petit d'Al FELDSTEIN.
Wallace Alan WOOD dit Wally WOOD (17 juin 1927-2 novembre 1981) a également réalisé durant une décennie des illustrations pour le magazine littéraire GALAXY SCIENCE-FICTION. On lui doit aussi les modèles de la série de cartes à collectionner MARS ATTACKS pour la marque de chewing gum Topps, ayant servi d'inspiration à la comédie cinématographique homonyme de Tim BURTON. Personnalité tourmentée et sujette à des migraines fréquentes, une addiction à l’alcool lui occasionna des troubles rénaux et il finit par mettre fin à ses jours par balles après avoir perdu l’usage d’un œil à la suite d’une attaque. Amer, il déclara peu avant que s’il devait recommencer sa vie, la première chose qu’il ferait serait de se couper les mains, pensée tristement révélatrice de son implication absolue dans son art, laquelle lui valut d’être consacré meilleur dessinateur en 1965 et meilleur encreur en 1966 au titre des Alley Awards, qui récompensent les auteurs de bandes dessinées, et meilleur dessinateur étranger au Festival de la bande dessinée d’Angoulême en 1978. La confession désabusée de Wally WOOD éclaire significativement la bande dessinée aux dessins desquels il avait contribué, publiée dans le numéro 39 de la revue CREEPY en 1974, OVERWORKED ("surmené"), dans laquelle un dessinateur d'histoires fantastiques et de science-fiction, obsédé par les univers qu'il doit concrétiser et pressé de rendre toujours plus de planches par les éditeurs, finit littéralement par être absorbé par la planète extraterrestre qu'il était en train de dessiner... Un site lui est consacré : http://wallywoodart.blogspot.fr/.


Un autoportrait de Wally WOOD clôturant la bande dessinée MY WORLD, un plaidoyer pour les émotions que procure la science-fiction et son merveilleux dépaysement, noble profession de foi à laquelle se montreront visiblement insensibles ceux qui devaient bientôt faire s'abattre une censure intransigeante sur les histoires extraordinaires publiées par E.C. Comics.

Au moins, cet impitoyable extraterrestre qui apparaît brièvement dans MY WORLD n'est pas fallacieusement à "visage humain" !


Quand un dessinateur se sent lui-même entraîné dans les univers cauchemardesques auxquels il donne vie au point d'y disparaître : OVERWORKED et son extraterrestre un peu trop pressant dans CREEPY  - une probable émanation tragique de Wally WOOD.

Al WILLIAMSON (21 mars 1931-12 juin 2010) a été régulièrement le collaborateur du renommé Frank FRAZETTA, puis de Frank KIRBY. Il a repris plusieurs bandes dessinées d’Alex RAYMOND après la disparition de leur créateur, notamment FLASH GORDON, dont, juste retour des choses, il conçut aussi l’adaptation en bande dessinée du film produit par Dino de LAURENTIIS qui avait porté le personnage sur le grand écran ( le dessinateur avait d’ailleurs aussi un temps envisagé de consacrer une série, SAVAGE WORLD, à des aventures dont le principal protagoniste n’était autre que Buster CRABBE, l’acteur ayant interprété Flash Gordon dans les serials des années 1930 ). Al WILLIAMSON fut choisi par la compagnie de Georges LUCAS pour réaliser l’adaptation en bande dessinée de L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE (THE EMPIRE STRIKES BACK), suivie de celle du RETOUR DU JEDI (RETURN OF THE JEDI), de même que celle de BLADE RUNNER. En 1995, il reviendra à nouveau à FLASH GORDON pour une nouvelle aventure. Très appliqué, avec un style qui rappelle quelque peu celui du français Paul GILLON, il devait régulièrement travailler comme encreur pour gagner un revenu que sa seule production graphique seule ne pouvait lui assurer, oeuvrant comme encreur pour les éditeurs Marvel, DC Comics et Dark Horse comics.
Comme Al FELDSTEIN, Joe ORLANDO et Jack KAMEN travaillèrent pour la revue MAD après la fin des E.C. Comics.
D’origine italienne, Joe ORLANDO accumula les prix très jeune. Il dessina aussi nombre d’histoires de pirates et occupa également par ailleurs au sein de l’univers de la bande dessinée les fonctions de scénariste et d’éditeur.
Jack KAMEN commença par travailler comme sculpteur pour l’exposition du centenaire de l’indépendance du Texas. Comme son titre original KAMEN’S KALAMITY (changé en KORMAN’S KALAMITY pour l’adaptation en tant qu' épisode de la série télévisée LES CONTES DE LA CRYPTE ) l’indique expressément, son histoire MA FEMME EST MONSTRUEUSE, relatant comment une histoire sentimentale peut dégénérer, est inspiré en partie de son expérience personnelle. Il a aussi œuvré pour la publicité, retravaillant au crayon de couleur ses peintures séchées artificiellement. Deux enfants de Jack KAMEN se sont consacrés à la recherche, Dean en particulier est connu pour avoir déposé 400 brevets.
Les bandes dessinées de science-fiction d’E.C. Comics donnaient vie au genre d'aventures spatio-temporelles échevelées des magazines littéraires des décennies précédentes, sans se départir d’un humour souvent caustique. Dans NÉ DE L’ESPACE (SPACE BORN), d’Al WILLIAMSON, un astronaute tue une créature lui paraissant menaçante, laquelle s’avère être son propre rejeton étonnamment métamorphosé par des facteurs inconnus semble-t-il destinés à l’adapter au monde extraterrestre dans laquelle sa compagne lui avait accidentellement donné la vie, comme celle-ci le révèle une fois l’irrémédiable commis. 

Un enfant de l'espace tendant ses petits bras en quête d'affection ?

ÉLEVAGE INTENSIF (PLUCKED !) de Wally WOOD est particulièrement notable et représentatif; lors de la soirée de Thanksgiving réunissant deux couples, les deux hommes dissertent sur de régulières disparitions de populations au cours de l’histoire ( sujet qui a aussi notamment inspiré le roman SPECTRE (PHANTOMS) de Dean KOONTZ ), tandis que des extraterrestres font soudain irruption et emportent sans qu’ils s’en aperçoivent les deux épouses dodues telles des dindes grasses pour un usage qu’on devine analogue à la tradition fêtée par les convives. S’interrogeant sur l’absence de témoins permettant de valider sa théorie, l’audacieux auteur de l’hypothèse en déduit fort justement que ceux qui auraient été exposés à de tels faits auraient probablement été hypnotisés, et les deux compères s’accordent finalement sur le plaisir qu’ils ont depuis tant d’années à fêter Thanksgiving en célibataires.. 


Une scène particulièrement intense d'ÉLEVAGE INTENSIF et ses horrifiants ravisseurs extraterrestres dessinés par Wally WOOD qui tiennent à la fois du gorille et de la mygale !


Une autre créature extraterrestre de Wally WOOD -"Tu as de beaux yeux, tu sais?.. Il n'y a pas d'heure pour les baves..!"

Une autre création de Wally WOOD pour ceux qui n'auraient pas trouvé la créature précédente suffisamment expressive...


L'apparence générale de ce monstre extraterrestre dessiné par Wally WOOD pour THE MANHUNTERS, publié en 1974 dans le numéro 60 du magazine EERIE n'est pas sans rappeler celui qu'il avait conçu pour LES MARTIENS dans WEIRD SCIENCE. 

L’être humain lui-même n’est pas moins monstrueux que les créatures de l’espace, de l’astronaute qui tue tous les hommes en hibernation de la future coloniale spatiale pour pouvoir tenir toutes les femmes à sa seule disposition une fois celles-ci ranimées de 50 GIRLS 50, d' Al WILLIAMSON, à celui de SOUS CLÉ (KEYED UP), de Joe ORLANDO, qui laisse volontairement mourir son collègue à l’extérieur du vaisseau spatial sans se douter que les semelles aimantées de la victime vont l’arrimer à la coque métallique jusqu’à son retour sur Terre, terrible preuve accusatrice du crime dont il devra répondre si la vue permanente du visage putréfié au travers du hublot ne le fait pas basculer dans la démence d’ici là. Moins atroce, mais tout aussi malicieuse, la chute des MARTIENS (THE MARTIANS) de Wally WOOD révèle que les êtres humains étaient considérés par les habitants disparus de Mars comme trop affreux pour que la diffusion d'un film dans lequel leur image apparaissait soit interdite de vision par "tous les Martiens âgés de moins de quinze tentacules". Wally WOOD n’hésite pas dans E.C. CONFIDENTIEL (E.C. CONFIDENTIAL) à présenter les différents contributeurs de WEIRD SCIENCE réunis autour de Bill GAINES comme des Vénusiens exilés tentant d’avertir l’humanité au travers de leurs bandes dessinées des périls immanents dont elle n’a pas conscience.


Un cadavre bien encombrant dans SOUS CLÉ, histoire qui n'est pas sans rappeler les fins morales cruelles des E.C. Comics d'horreur comme LES CONTES DE LA CRYPTE ( le faciès horriblement décati de la victime est un peu trop morbide pour que l'image intégrale puisse être présentée ici à un public non averti qu'on a déjà mis à rude épreuve avec celle d'ÉLEVAGE INTENSIF...).

Ceux qui ont vu le film LES SURVIVANTS DE L'INFINI (THIS ISLAND EARTH) de Joseph NEWMAN de 1955 ne seront pas dépaysés par la vision de ce couple captif tenu dans un cylindre à l'intérieur de la soucoupe volante de leurs ravisseurs dans cette illustration d'Al FELDSTEIN de 1951.

La créature venue de la Quatrième dimension (MONSTER FROM THE 4TH DIMENSION), née sous le crayon d'Al FELDSTEIN en 1951, a fait l'objet en 1953 d'une nouvelle adaptation en noir et blanc confiée à Bernard KRIGSTEIN.

 Cet humour ne restait pas toujours cantonné aux pages des périodiques. Un jour, la collaboratrice du jeune Al WILLIAMSON âgé de 22 ans, chargé de mettre ses dessins en couleurs, renversa abondamment de l’encre sur ses planches sur lesquelles il avait passé des jours à travailler minutieusement, mettant celui-là dans un état qu’on peut facilement se figurer, avant que celle-ci lui révèle qu’il s’agit d’encre sympathique de farces et attrapes qui va bientôt s’estomper. Un contributeur plus occasionnel des séries de science-fiction, Will ELDER, alla dans ses jeunes années jusqu’à disposer à proximité de voies à grande vitesse un amas de viande et de vieux vêtements, en criant « Mickey est tombé !», de sorte que les mères de famille qui avaient un fils prénommé ainsi accoururent affolées; une facétie dont l’effroi l’emporte incontestablement sur la drôlerie.

La "fin tragique des E.C. Comics"
Peut-être parce qu'elles s'adressaient moins à un public adolescent plus féru d'émotions fortes que de dépaysement et de distanciation quelque peu philosophique, les deux revues de science-fiction WEIRD SCIENCE et WEIRD FANTASY ne rencontrèrent pas le succès qu’elles méritaient, à la différence des bandes dessinées d’horreur des E.C. Comics, mais les bénéfices rapportées par ces dernières permettaient cependant à Bill GAINES de les conserver. Néanmoins, l’inflation finit par le contraindre à les fusionner sous le titre de WEIRD SCIENCE FANTASY. 
Par ailleurs, la violence explicite des bandes dessinées d’horreur, en dépit de la morale qui clôt généralement l’histoire, fut perçue par certains hommes politiques comme inappropriée pour les adolescents, et, en réponse à ces attaques, les éditeurs de bandes dessinées élaborèrent en 1954 le Code comics qui aboutit la même année à la Comics code Authority. Bill GAINES est contraint de s’y conformer pour que ses bandes dessinées puissent être diffusées par les distributeurs. S'il est un domaine dans lequel, à l'instar de l'histoire E.C. CONFIDENTIEL qui les mettait en scène, les auteurs de WEIRD SCIENCE avaient eu une préfiguration de l'avenir, c'est bien en anticipant d'une certaine façon la censure s'abattant sur les représentations de créatures étranges dont le jeune public devait être protégé, comme manifesté dans LES MARTIENS de Wally WOOD, histoire qui apparaît étrangement prophétique et satirique rétrospectivement, avec ces Martiens qui considéraient l'être humain comme trop repoussant pour que la diffusion d'un film dans lequel leur image apparaissait soit interdite de vision par "tous les Martiens âgés de moins de quinze tentacules"... Les monstres tels que loups-garous et vampires sont ainsi interdits par le code des bandes dessinées, et même le terme « weird » (étrange) est banni, de sorte que le titre WEIRD SCIENCE FANTASY doit être changé en INCREDIBLE SCIENCE-FICTION pour recevoir l’habilitation; Bill GAINES se voit signifier que les mutants aussi sont interdits, ce qui amène finalement l’éditeur à renoncer définitivement aux bandes dessinées fantastiques et à se concentrer sur le magazine caustique MAD qui n’est pas soumis à cette autocensure ayant fini par perdre toute mesure, et dont le succès ne s'est pas démenti depuis lors.
L'éditeur Bill GAINES a passé un mauvais moment quand les bandes dessinées fantastiques des E.C. comics sont passées à la trappe..


En 1984, cette couverture d'Al FELDSTEIN présentant une créature de l'espace ressemblant à une sorte de gigantesque et inquiétant ver annelé marin sédentaire ( on sait depuis l'écrivain Salman RUSHDIE que "les vers, c'est satanique" !.. ) a été reprise, avec une nouvelle colorisation lui prêtant le plus beau rouge carmin, pour une édition française en bandes dessinées des CHRONIQUES MARTIENNES d'après Ray BRADBURY, reprenant les adaptations d'après l'auteur réalisées dans les années 1950 - bien que l'album ne comportait en réalité pas davantage de monstres que dans l'oeuvre littéraire initiale.

Bill GAINES nomma ainsi en 1955 Al FELDSTEIN rédacteur en chef du magazine satirique MAD et celui-ci en dessina notamment la figure iconique, le garçonnet roux au visage fat. 

Le fameux personnage créé par Al FELDSTEIN pour la revue parodique MAD, en compagnie d'un hôte non moins célèbre...


Cette créature menaçante, la Bête de la lune de Jupiter, n'est pas issue d'une nouvelle de Clark Ashton SMITH, mais d'une fausse couverture conçue par Will ELDER. On appréciera au passage la tenue minimaliste du personnage féminin. Le titre fait allusion à l'impossibilité scientifique des histoires de la publication fictive.

A partir de 1984, Al FELDSTEIN se consacre presque exclusivement à la peinture très soignée de paysages du Montana et d’animaux sauvages, confirmant son éclectisme. Son site officiel (http://www.alfeldstein.com/) a fini par disparaître, mais on peut trouver un échantillon de son art sur ce lien : https://fineartamerica.com/profiles/al-feldstein.

Des créatures bien réelles sur cette magnifique peinture intitulée "Motherspride" ("la fierté d'une mère"). 
Si les bandes dessinées de science-fiction E.C. Comics n’ont inspiré qu’un seul film, WEIRD SCIENCE de John HUGUES en 1985, une comédie moralisatrice sur des adolescents aspirant à créer la femme idéale, elles incarnent un âge d’or dont on peut quelque peu retrouver l’esprit dans une série des années 1960 comme AU-DELÀ DU RÉEL (THE OUTER LIMITS), riche en savants fous et en monstres pittoresques, se terminant également souvent par une chute percutante, même si l’humour caustique y est moins présent. Les bandes dessinées d'horreur d'E.C. Comics ont quant à elle acquis une belle notoriété et l'association internationale des écrivains d'horreur, la Horror writers association, a ainsi décerné en 2010 le prix Bram Stoker (d'après le nom de l'auteur du roman DRACULA) à Al FELDSTEIN. La disparition de celui-constitue une occasion de rendre ici un nécessaire hommage à cette glorieuse page de la culture populaire.



lundi 31 mars 2014

RENCONTRE AVEC UN GRAND AUTEUR D’APRÈS-GUERRE


Une photo récente de Jean LOMBARD connu sous le nom de Max-André RAYJEAN, un des grands noms de la science-fiction populaire française, fournie avec amabilité par l'auteur lui-même. Comme la seconde présentée plus loin, il s'agit de photos EXCLUSIVES, montrant l'écrivain pour la première fois (les rares photos censées le représenter proposées sur internet sont en réalité la photo de Jean COCTEAU jeune et d'un inconnu - de la même manière que sa biographie est parfois confondue avec celle d'un auteur homonyme du siècle précédent... Il était temps de contribuer ici à ces quelques rectifications ).

Si certains auteurs de science-fiction français ont obtenu une forme de reconnaissance s'étendant parfois au-delà du genre, comme Gérard KLEIN, Philippe CURVAL, Michel JEURY, Jean-Pierre ANDREVON ou Pierre PELOT, nombre d'auteurs de l'après-guerre, qui ont contribué à diffuser dans notre pays un genre encore assez exclusivement anglo-saxon, et dont les représentants demeuraient alors encore fort peu connus sur notre territoire à l'exception d'Herbert George WELLS - l'oeuvre de H.P. LOVECRAFT a été à la même époque portée à la connaissance du public français par Jacques BERGIER - restent cependant encore largement ignorés des critiques, des anthologies et même des essais historiques sur le genre (même Jacques SADOUL évoqué récemment ne faisait que citer dans son "Histoire de la science-fiction moderne" le nom de Max-André RAYJEAN sans mentionner aucune de ses œuvres). Les productions de ces écrivains qui parurent pour l'essentiel aux éditions Fleuve Noir sont en effet presque systématiquement tenues pour des productions mineures, assimilées à des "romans de gare", destinées d'emblée à l'oubli et dont aucun chroniqueur littéraire digne de ce nom ne devrait se soucier. C'est un peu comme si, pour accéder tardivement à une respectabilité, encore souvent bien ténue, la science-fiction devait se délester, voire se purger, d'une masse considérable de textes qui seraient nécessairement mal écrits, puérils, stéréotypés et peu inventifs, soit sans qualité et sans intérêt. Ce dédain n'est pas sans rappeler celui s'attachant généralement aux magazines américains du temps de l'effervescence de la science-fiction dans les décennies 1920 et 1930 qu'on a appelé "l'âge d'or de la science-fiction", victimes d'un regard condescendant rétrospectif en raison notamment de la mauvaise qualité du papier leur ayant conféré le nom de "pulps" et de couvertures avec des illustrations privilégiant le spectaculaire, alléguant que, pour être une "vraie" littérature, la science-fiction devait se contraindre à une certaine épure, s'éloignant de tout ce qui peut la rattacher à une forme de divertissement paraissant "gratuit"; pourtant, cet "âge d'or" décrié a vu émerger, notamment sous la direction du directeur de publication John CAMPBELL, tous les auteurs du genre qui furent par la suite distingués et célébrés outre-Atlantique.

De la même manière, estimer que la totalité des romans qui furent publiés en France à partir de la décennie 1950 par la collection "Anticipation" éditée par Fleuve Noir ne méritent aucune considération au nom d'une étiquette qu'on lui a hâtivement accolée, paraît un ostracisme bien peu justifiable. N’en déplaise aux jugements hâtifs, nombre de ces écrivains font preuve d’une belle inventivité, et leur style, s’il privilégie l’efficacité aux fioritures, est tout à fait honorable. Parmi ces auteurs, on peut citer Maurice LIMAT, B.R. BRUSS, F.RICHARD-BESSIÈRE (Henri BESSIÈRE), Robert CLAUZEL, hélas tous disparus, Piet LEGAY, ou encore Max-André RAYJEAN. Ce dernier est revenu récemment d'actualité avec la parution de romans de science-fiction inédits chez l'éditeur "Rivière blanche" ( antithèse sémantique de Fleuve Noir), LE CYCLE D’ORGA, DEFI A LA TERRE/LE DIEU ARTIFICIEL, COMPLEXE 18/DIX SIECLES POUR DEMAIN, ainsi qu'un tome rassemblant deux récits fantastiques, MOMIE DE SANG/LE SECRET DES ROCHES NOIRES.


Enlèvement par des extraterrestres; une "rencontre du 3ème type" peu ordinaire ayant pour finalité d'enrichir en nouveaux spécimens le zoo interstellaire des Astors !

Né en 1929 à Valence dans la Drôme sous le nom de Jean LOMBARD - à ne pas confondre avec un écrivain homonyme du siècle précédant - l'écrivain a fait publier, sous l'identité de Max-André RAYJEAN, 67 romans dans la collection « Anticipation » aux éditions Fleuve Noir. Admirateur de Max-André DAZERGUES, dont il reprend le prénom composé pour son identité de plume, il commence par faire paraître des œuvres d’aventures pour la jeunesse qui s’inspirent de ses écrits, puis écrit des romans policiers et des scénarios de bandes dessinées pour la jeunesse, lesquels atteindront le nombre de 300. Mais c’est à partir de 1956 qu’il s’oriente vers la science-fiction au travers de la collection « Anticipation » aux éditions "Fleuve Noir", y transcrivant son intérêt pour la science, sans cependant verser dans un scientisme trop manifeste. Max-André RAYJEAN nous promène jusque dans les mondes les plus lointains, à l’échelle du cosmos, sachant, au-delà de la conjecture intellectuelle stimulante, nous communiquer le vertige métaphysique, la solitude qui émane de ces espaces sans fin et d'un temps étendu jusqu'à l'infini. Il s'attache également avec conviction à dépeindre des êtres pensants très différents de l'homme, comme les unicellulaires géants, tels les Mollutors d'ÈRE CINQUIÈME qui succéderont à l'humanité dans le lointain avenir, ou ceux venus d'une autre planète du PÉRIL DES HOMMES et de RETOUR AU NÉANT (même si un personnage de BASE SPATIALE 14 postulait à l'inverse que la taille que pouvait atteindre le protoplasme d'une cellule était limité), parfois aux limites du biologique, tels que l'entité éponyme de L'ARBRE DE CRISTAL, les extraterrestres constitués de sphères dans PRISONNIERS DU TEMPS ou encore ceux composés d'énergie pure des FEUX DE SIRIS. Il parvient à faire ressentir l'étrangeté radicale que présentent ces êtres issus d'une évolution très éloignée de la nôtre, au cycle vital souvent fort singulier, tout en s'attachant à faire comprendre leur représentation du monde et même partager leurs perceptions et leur intériorité; sur ce point, il pourrait être vu comme un digne héritier du premier grand précurseur de la science-fiction, lui même francophone, Joseph-Henri BOEX dit ROSNY Aîné. La puissance narrative de l'auteur permet dans des romans comme LA ONZIÈME DIMENSION, irruption d’un autre univers dans le nôtre au sein duquel les besoins matériels n’ont plus lieu d’être, ou LE CYCLE D’ORGA, une catastrophe dans les Andes qui évoque d’abord une coulée de boue avant de s’avérer bien autre chose qu’un phénomène géologique classique, de pousser une idée jusqu’à ses ultimes prolongements, sans cesser pour autant de demeurer convaincant en dépit de la survenue d'événements toujours plus extraordinaires. BASE SPATIALE 14 anticipe quant à elle la série télévisée INVASION de Shaun CASSIDY, avec des envahisseurs extraterrestres, des "cellules universelles", qui ont si bien copié les humains auxquels ils se sont substitués qu’ils réclament pour eux aussi le respect de « leur » humanité nouvelle.

Les rejetons de l'Arbre de cristal évoquant des bulles de savon.

Victimes de la mode, les romans de Max-André RAYJEAN récemment publiés par Rivière blanche furent jadis refusés par Fleuve noir, qui désirait renouveler la collection en rompant avec les auteurs qui avaient fait sa renommée. Cette actualité fournit un prétexte idéal pour, à défaut de pouvoir entrer dans le détail d'une oeuvre volumineuse, du moins évoquer sa carrière et son intérêt pour la science-fiction. On ne peut qu'exprimer toute notre gratitude pour celui qui, considéré comme l'un des auteurs les plus secrets de la collection Anticipation, a bien voulu répondre à un petit questionnaire, pour notre plus grand plaisir et celui des lecteurs qui nous font la grâce de nous lire.

- Monsieur LOMBARD, quelle est l’origine de votre pseudonyme, faut-il y voir une allusion à l’auteur de récits fantastiques Jean RAY ?
M.-A. RAYJEAN : Rien à voir avec Jean RAY. Simplement, j’ai une sœur aînée qui s’appelle Raymonde et qui m’a encouragé à écrire. Alors j’ai allié nos deux prénoms : RAY(monde) et JEAN. Aussi simple que cela !
- L’éditeur vous a demandé de réécrire votre premier roman de science-fiction. Comment un écrivain parvient-il à se réapproprier son œuvre une fois le processus mené à son terme ?
M.-A. RAYJEAN : Je n’ai pas eu trop de mal à réécrire mon histoire car le scénario restait le même. Il n’était question que d’un style d’écriture. Exemple : « J’avais peur. Peur et troublé à la fois… ». L’éditeur n’aimait pas trop cette pose répétitive. J’ai du faire des coupures ! C’était ATTAQUE SUB-TERRESTRE.
- Trouviez-vous toujours vos idées de la même manière et quelle en était l’origine ( conjecture rationnelle basée sur une lecture scientifique, ou un concept, idée visuelle d’une scène inspirant une intrigue, voire même rêve ? )
M.-A. RAYJEAN  : Beaucoup dans une lecture scientifique telle que « Science et vie » ou « Science et avenir ». Mais les idées émanaient aussi des neurones du cerveau. L’homme est doté d’une imagination, alors à lui d’inventer ! ( voir CHOCS EN SYNTHÈSE, L’ULTRA-UNIVERS, LA ONZIÈME DIMENSION.. )


Cap sur une nouvelle dimension qui tient tous ses promesses.

- Vous est-il déjà arrivé de fixer des limites à votre imagination au nom de la vraisemblance scientifique ?
M.-A. RAYJEAN : Pas précisément. L’imagination n’a vraiment pas de limite rigoureuse. Je pense que chaque individu a sa « propre » imagination, donc il existe forcément une limite personnelle… et indéfinissable ( voir LES FORÇATS DE L’ENERGIE, PRISONNIERS DU TEMPS, CELLULE 217, etc.. )
- Comment parvenez-vous à obtenir la longueur désirée du texte ? Faites vous un découpage synoptique détaillé ?
M.-A. RAYJEAN : Facilement. La longueur d’un texte est fonction du nombre de pages, jadis dactylographiées à la machine à écrire. La collection « Anticipation » comptait une centaine de ces pages. Il n’existait pas, en fait, de rigueur mathématique.
- A la lecture du CYCLE D’ORGA, je me suis demandé jusqu’à la fin quel serait le destin des principaux protagonistes. Connaissez-vous à l’avance le sort de vos personnages ou vous arrive-t-il de n’envisager le destin de ceux-ci qu’au fur du déroulement de l’intrigue ?
M.-A. RAYJEAN : Pour les romans, j’ai toujours plus ou moins tracé un scénario complet avant de commencer la rédaction. Il m’arrivait parfois de modifier ce scénario en cours d’écriture ( rarement toutefois ). Par contre, pour le texte des bandes dessinées, je plongeais souvent dans l’inconnu en modifiant au fur et à mesure le scénario, selon l’imagination du moment !


La couverture pétrifiante - le lecteur découvrira que l'expression est appropriée - du Cycle d'Orga, roman prenant, honteusement laissé de côté par l'éditeur d'origine, jusqu'à ce que les promoteurs de la collection Rivière blanche le tirent du néant !


- Conserviez-vous plutôt un regard assez distancié vis-à-vis du processus de narration, en tant qu’orchestrateur de l’intrigue, ou vous arrivait-il de vous impliquer dans l’écriture au point de vous sentir pénétré du climat d’angoisse au moment où vous le dépeigniez ?
M.-A. RAYJEAN : Alors là, vous abordez un problème de sensibilité qui frôle la psychanalyse ! Je ne me suis quand même jamais fait peur, même dans mes romans « Angoisse »… Sinon j’aurais fait des cauchemars !
- En dehors des romans policiers que vous auriez aimé écrire mais pour lesquels vous n’avez pas obtenu l’aval des éditions Fleuve noir qui désiraient vraisemblablement conserver pour la série « Anticipation » un de leurs auteurs-phares, aviez vous une totale liberté pour le choix des sujets et leur traitement, ou l’éditeur et les comités de lecture vous demandaient-ils de suivre certaines contraintes ou prescriptions ?
M.-A. RAYJEAN : Oui j’avais une totale liberté des sujets. Au début, avec François RICHARD comme directeur, je lui adressais plusieurs scénarios et je lui demandais de renvoyer la liste avec son classement personnel. Je développais d’abord le sujet n° 1, puis le numéro 2, etc… Avec Patrick SIRY, cette habitude fut abandonnée. Hélas !!!
- Quelles sont parmi vos œuvres celles que vous souhaiteriez le plus voir accéder à la postérité ( même si les rééditions de la collection « Les lendemains retrouvés » ont déjà contribué à proposer des romans anciens à de nouveaux lecteurs ) ?
M.-A. RAYJEAN : Difficile de choisir pour l’auteur. Mais j’ai une petite préférence pour le premier roman de chaque série que j’ai créée. Exemple, les grands reporters ( Joël Maubry, Joan Wayle ), Commandant Jé Mox, série Mac Kerreck,….
- Que répondriez-vous aux détracteurs du genre qui estiment qu’il n’y a pas d’intérêt à imaginer le futur, car l’évolution de plus en plus accélérée de la technologie, chaque découverte étant susceptible d’en entraîner d’autres inattendues, interdirait toute projection à long terme en la matière ?
M.-A. RAYJEAN : Ces détracteurs ont peut-être raison. Mais justement, les nouvelles technologies à ( voir « Science et vie » ) appellent un futur que l’on cerne à peu près. Exemple : facile d’imaginer une puce électronique introduite dans le cerveau dès la naissance de façon à « suivre » l’individu à la trace et de modifier son comportement par le biais d’impulsions. Une robotisation en somme !
- Et que pensez-vous des attaques des critiques littéraires qui, estimant que la science-fiction est une littérature d’idées, lui reproche de délaisser le style et de se contenter de personnages unidimensionnels ?
M.-A. RAYJEAN : Je n’en pense rien, car chaque critique a le droit de critiquer ! Je ne vois pas un auteur de science-fiction gagner le Goncourt, c’est sûr ! Mais chaque genre possède ses lecteurs. La littérature est multiple !
- En tant qu’auteur ayant aspiré à écrire des romans policiers, pensez-vous que le mode de conjecture rationnel de la science-fiction peut restreindre l’auteur quant à la description de comportements humains irrationnels, contrairement au genre policier naturellement enclin à restituer des faits criminels bruts parfois difficiles à appréhender, comme la violence gratuite de nombre de faits divers ?
M.-A. RAYJEAN : C’est une question colle !!!
- Par ailleurs, comment perceviez-vous le fait qu’au sein même de la science-fiction, les auteurs du Fleuve noir n’étaient généralement pas perçus à la juste mesure de leur travail, mais catalogués comme auteurs de seconde catégorie, généralement ignorés des études sur le genre ? Le regrettiez-vous dans une certaine mesure, ou avez-vous toujours estimé que la seule reconnaissance du lectorat était une gratification suffisante, comme l’affirmait votre confrère Maurice LIMAT  ( et aussi, en dehors de la science-fiction, par Frédéric DARD, dont vous avez fait la connaissance ? )
M.-A. RAYJEAN : J’ai essayé chez Denoël ( collection Présence du futur ). Ca n’a pas marché ! J’ai bien senti que chez Denoël, on nous prenait pour une catégorie d’auteurs secondaires. Au Fleuve noir, nous écrivions de la littérature « populaire », peut-être plus « simpliste ». N’empêche, les tirages de la collection prouvaient le succès.

Max-André RAYJEAN devant sa machine à écrire au temps de sa collaboration à Fleuve Noir (autre photo exclusive).

- Aviez-vous des contacts avec les autres auteurs d’anticipation de Fleuve noir et pouvez-vous nous raconter des anecdotes à leur sujet ? Jimmy GUIEU quant à lui était-il considéré comme un auteur plus particulièrement singulier, dans la mesure où il n’hésitait jamais à affirmer que ses récits étaient basés sur des faits réels émanant de l’ufologie ( l’étude des phénomènes spatiaux non identifiés, appelés O.V.N.I. en langue française ) ?
M.-A. RAYJEAN : Très peu, juste des contacts par l’intermédiaire de quelques lettres, entre confrères de la même édition. Avec LIMAT, surtout. Quant à Jimmy GUIEU, s’il croyait vraiment aux soucoupes volantes, c’était son droit. Mais des faits réels sur l’ufologie, j’en doute. Dans ses lettres amicales, il ne m’a jamais parlé de sa terrible passion pour les O.V.N.I.
- Les auteurs de la science-fiction française des années 1950 ont tous été à juste titre admirateurs de la science-fiction américaine, mais savez-vous pourquoi peu paraissent, à la différence sans doute de Robert CLAUZEL, avoir été marqués dans une certaine mesure par l’anticipation de langue française d’avant guerre comme ROSNY Aîné ou Maurice RENARD ?
M.-A. RAYJEAN : Une vraie colle que vous posez ! Les Américains ont envahi la littérature française au point de la submerger au point de faire oublier ROSNY Aîné ou Maurice RENARD ! Le Fleuve noir a été heureux d’équilibrer cette déficience en publiant la collection « Anticipation » avec des auteurs français. Un pari qu’ils ont gagné ! D’accord, au début, on s’est inspiré des Américains, mais chacun, ensuite, a mis sa personnalité dans ses romans.
- Savez-vous s’il y’a eu des tentatives de traduire en d’autres langues les auteurs du Fleuve noir, et n’avez-vous pas quelque regret de n’avoir pas été lu aux Etats-Unis, ce qui aurait la consécration logique pour les auteurs de la collection ?
M.-A. RAYJEAN : « Anticipation » a été traduite en plusieurs langues : italien, espagnol, portugais, etc.. Jamais de traductions aux Etats-Unis parce qu’en affaires, les Américains sont plus forts que les autres ! C’est leur mentalité de dominer le monde. Une preuve ? Vous avez vu le film INDEPENDANCE DAY ? Eh bien, c’est eux qui ont sauvé le monde ! Du nationalisme béat en somme.
- Vous avez eu l’occasion de rencontrer Frédéric DARD, célèbre auteur des aventures policières de SAN ANTONIO, dont vous appréciez l’humour ; regrettez-vous de pas avoir eu l’occasion d’instiller une touche humoristique dans vos romans, celle-ci étant souvent difficilement conciliable avec la tentative de dépeindre un monde imaginaire de manière crédible ?
M.-A. RAYJEAN : Ah, Frédéric DARD. Il a commencé sa carrière dans la petite collection « Le Glaive » d’un éditeur lyonnais. J’ai eu la chance d’y publier aussi mon premier roman… policier ! DARD est né à Bourgoin dans l’Isère et moi à Valence. Donc pas très loin…
Bien sûr, j’aurais pu introduire de l’humour dans mes ouvrages. Il y’a eu de l’ « heroic fantasy ». Ca ne m’a jamais tenté. J’ai pris la science-fiction très au sérieux, comme une sorte de prédiction de l’Avenir ( un critique du « Dauphiné libéré » a trouvé une « pointe d’humour » dans mon roman L’AGE DE LUMIÈRE, paraît-il !).
- Vous avez écrit des romans fantastiques ancrés dans la culture régionale. Considérez-vous de votre point de vue qu’il y’a une différence de degré ou bien de nature entre science-fiction et fantastique – beaucoup d’auteurs abordent ces deux genres de l’imaginaire ?
M.-A. RAYJEAN : Les deux genres diffèrent. La S-F traite d’une imagination axée sur le futur. Le fantastique se résume à des aventures diaboliques, où se mêle souvent l’épouvante. L’homme aime les mystères, les Dieux, le Diable, l’Au-delà. Donc l’irréel. Adapter un « Angoisse » dans un environnement régional est une volonté toute personnelle. Oui, j’aurais aimé être un auteur « régional ».
- Y’a-t-il des films de science-fiction qui vous aient plu particulièrement ? Ne pensez-vous pas que les images de synthèse, en dématérialisant l’imaginaire, font actuellement perdre à la science-fiction ce piment excitant de jeu avec le réel au travers d’un visuel désincarné ? Auriez-vous aimé être adapté au cinéma, ou estimez-vous que les nombreuses bandes dessinées dont vous avez écrit le scénario équivalent un peu à la visualisation de votre univers ?
M.-A. RAYJEAN : Pas particulièrement. Leurs auteurs se livrent à un spectacle axé principalement sur le trucage et les effets spéciaux. L’idée ne vole pas bien haut en général.. Un bon point pour LE PRIX DU DANGER ou I COMME ICARE. En tous cas, je n’ai jamais pensé à des adaptations pour le cinéma. ATTAQUE SUB-TERRESTRE et BASE SPATIALE 14 restent mes deux seuls romans S-F publiés en B.D. Par contre, mes B.D. pour enfants m’ont fait plaisir.


Réédition au titre des classiques de la série de BASE SPATIALE 14, qui fut également adapté en bande dessinée chez Aredit (ci-dessous) au travers des dessins de Jacques GERON (décédé à l'âge de seulement 43 ans le 30 octobre 1993).




- Avez-vous lu des romans d’auteurs plus récents, et estimez-vous en ce cas qu’ils diffèrent de ceux de votre époque ( en laissant peut-être une trop grande part à des intrigues - plus ou moins - sentimentales, en recourant trop systématiquement à l’emploi de mots inventés pour figurer des langues étrangères, susceptibles de lasser le lecteur, etc… ) ?
M.-A. RAYJEAN : Franchement, après « Anticipation » du Fleuve noir, j’ai décroché un peu de la S.-F. parce que j’ai vu saborder une collection qui marchait. Sans doute la nouvelle S.-F. diffère de la vague 1950-1980. Elle paraît plus « psychologique » et s’éloigne de la littérature populaire. Mieux ou prou ? Aux lecteurs de le prouver.                              - D’où tiriez vous votre inspiration pour inventer les formes de vie extraterrestres les plus variées; avez-vous parfois eu recours à des croquis pour visualiser ces êtres d’un autre monde ?
M.-A. RAYJEAN : Les extraterrestres mis en scène dans mes romans sont en effet très nombreux et de formes diverses. Ma série des Jé Mox, par exemple, comporte 16 titres* dont chacun montre différents types de vie intelligente. C’est ma série préférée, la plus riche en formes de vie extraterrestres. Ce sont à peu près treize structures extraterrestres vivant en communauté et possédant une civilisation souvent plus ou moins évoluée ( souvent plus que les hommes ! ) qui font face à Jé Mox et son équipage du Cos-200, le vaisseau de secours du centre spatial installé sur Ter-8 ( le huitième bastion terrestre édifié dans la galaxie ). Je n’ai jamais dessiné un croquis de mes extraterrestres. Seule l’imagination du moment me guidait. Rien, ne prouve que des êtres intelligents aient besoin d’une tête, de bras, de jambes. Les créatures unicellulaires, les microbes, les virus, ne sont t-ils pas doués d’intelligence ? Question à méditer. 




Quelques tentatives de représenter des formes de vie extraterrestres imaginées par Max-André RAYJEAN : la masse grise, faussement placide, de BASE SPATIALE 14 représentée par Jacques GERON pour l'adaptation en bande dessinée du roman (en haut), et deux essais de concrétisation d'une créature des GERMES DE L'INFINI (illustration originale, l'auteur doit être crédité pour toute reproduction, usage commercial proscrit sans autorisation de l'auteur).

Croyez-vous que l’humanité sera un jour réellement en mesure d’entrer en contact avec une autre civilisation ?
M.-A. RAYJEAN : Si vous voulez mon avis sur les extraterrestres, je crois sincèrement qu’ils existent, quelque part dans l’Univers, mais qu’aucun n’est capable de voyager dans l’espace interstellaire car il faudrait vaincre des distances de centaines d’années lumière.. inouï ! Le voyage dans la quatrième dimension (qui abolit les distances) est la ressource de la science-fiction et c’est bien pratique pour un auteur ! Mais pas pour un super technicien qui aura déjà bien du mal à inventer un moteur photonique pour se propulser à la vitesse de la lumière. Cela semble déjà hors de portée !!
- Pensez-vous que l’intelligence soit un phénomène très aléatoire, ou que celle-ci soit relativement répandue dans l’univers ?
M.-A. RAYJEAN : C’est une question à laquelle on ne peut pas répondre pour la raison qu’on ne connaît pas jusqu’où peut aller l’ « intelligence ». Toute forme de vie est intelligente. L’homme, l’animal, les végétaux, les microbes, les virus, sont intelligents ! Exemples, TERROM, AGE UN** ou ROUND VÉGÉTAL.


LE VOYAGE FANTASTIQUE? Non, l'illustration de couverture de l'épopée cosmique RETOUR AU NÉANT de Max-André RAYJEAN, un auteur très intéressé par le monde microscopique, au sein de l'oeuvre duquel on retrouve microbes et protozoaires géants. 

- Peu d’auteurs sont parvenus à évoque de manière relativement convaincante la vie dans un univers du nôtre. Quels conseils donneriez-vous à un auteur qui s’aventurerait sur ce terrain et quelles règles devrait-il suivre pour demeurer crédible ?
M.-A. RAYJEAN : La question rejoint un peu la précédente. L’homme n’a encore jamais rencontré un « extraterrestre ». Pour rester crédible, la vie dans un univers différent se conçoit comme la vie sur la Terre ( hommes, animaux, plantes, microbes… ). C’est déjà un bel échantillonnage de vies différentes. L’homme et sa science ne sont pas en état de répondre à cette question primordiale : comment envisage-t-on la vie dans un univers différent ?
C’est donc aux auteurs de science-fiction de l’imaginer. Mais « imagination » ne rime pas forcément avec certitude ( voir mes romans L’ULTRA-UNIVERS et SOLEILS : ÉCHELLE ZERO*** ).
Pour clore le débat, je pense que la présence de la vie sur la Terre, son origine, sont hors de portée de notre imagination. Qui prouve l’existence d’un SEUL univers ? univers parallèles ? Micro-univers ? Ultra-univers ? Ou des univers imbriqués les uns dans les autres ?
- Merci M. LOMBARD/RAYJEAN pour cet entretien exclusif, ce fut un grand honneur, et je ne peux douter que de nouvelles générations de lecteurs de science-fiction continueront à apprécier vos romans.


* PRISONNIERS DU TEMPS (1970), CELLULE 217 (1971), L’ARBRE DE CRISTAL (1972), L’AUTRE PASSE (1972), LA REVOLTE DE GERKANOL (1973), LE SECRET DES CYBORGS (1974), BARRIÈRE VIVANTE (1975), LES GEANTS DE KOMOR (1976), LES GERMES DE L’INFINI (1976), LES METAMORPHOSÉS DE SPALLA (1977), LE PIEGE DE LUMIERE (1977), LA CHAINE DES SYMBIOS (1978), LES MAITRES DE LA MATIERE (1979).

** Le roman se déroule après un cataclysme, la terre est dominée par plusieurs espèces d’insectes sociaux qui s’affrontent, et qui utilisent les êtres humains comme esclaves, jusqu’à ce que ceux-là découvrent la cité de Terrom, protégée par des androïdes, et entreprennent la reconquête du monde.

*** Il s’agit de deux romans liés dans lesquels des expériences sur la matière aboutissent à des immersions dans l’infiniment petit, puis l’infiniment grand. Dans le premier, des scientifiques de la planète Errêt créent un univers miniature qui se révèle habité et se met à croître au point de menacer le système solaire de son créateur; les deux peuples sont contraints de chercher un nouveau système solaire pour survivre. Dans le second, un macro-univers est engendré et quatre chercheurs qui s’y sont fait transférer se trouvent accidentellement dématérialisés en pure force électro-magnétique dépourvue de forme et perdent leur conscience individuelle; craignant de détruire le système solaire comme dans l’expérience précédente, ils se font envoyer dans l’espace. Ils arrivent sur un monde inhospitalier. Finalement, leurs êtres se changent en particules d’énergie, lesquelles seront à l’origine de l’apparition de la vie sur la Terre. D’autres romans de l’auteur du cycle Joé Mox jouent aussi sur la taille : dans CELLULE 217, des hommes sont miniaturisés pour pouvoir être insérés dans des cellules qu’ils sont appelés à contrôler, et dans LES GEANTS DE KOMOR, une autre expérience extraterrestre augmente la taille d’humains.

Le site de Rivière blanche : 
http://www.riviereblanche.com/

Les romans de Max-André RAYJEAN: 
http://www.riviereblanche.com/cycle.htm
http://www.riviereblanche.com/complexe.htm
http://www.riviereblanche.com/defiterre.htm

Nous sommes redevables à Philippe WARD, écrivain renommé et directeur de collection de "Rivière blanche" qui a donné la possibilité d'entrer en contact avec l'écrivain; nous espérons pouvoir le retrouver prochainement en ces pages pour nous entretenir avec lui des créatures mythiques, plus particulièrement de celles des légendes basques qui lui sont chères.


LECTURE COMPLÉMENTAIRE

On lira aussi à titre complémentaire sur l'auteur ce résumé rédigé par l'Oncle Paul qui l'a signalé à notre attention :

http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/article-rayjean-max-andre-un-portrait-124472662.html

L'auteur évoque aussi deux de ses romans, changeant agréablement des commentaires souvent sommaires et abusivement dépréciatifs qu'on trouve habituellement sur l'auteur :

http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/article-max-andre-rayjean-operation-etoile-124535785.html
http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/article-max-andre-rayjean-le-cycle-d-orga-124467471.html

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On avait évoqué récemment le réalisateur du VOYAGE FANTASTIQUE DE SINBAD, Gordon HESSLER, à l'occasion de l'hommage consacré en juin 2013 à Ray HARRYHAUSEN; le cinéaste vient à son tour de disparaître le 19 janvier 2014.

A la fin de l'année précédente, le 14 décembre 2013, s'est éteint l'acteur Peter O'TOOLE. Surtout célèbre pour avoir interprété le personnage historique éponyme du film LAWRENCE D'ARABIE, il avait aussi, toujours dans le genre historique, livré des compositions saisissantes dans la série MASADA, en compagnie du non moins brillant David WARNER, et dans LA NUIT DES GENERAUX. Dans le domaine fantastique, il avait incarné un écrivain féru de mystérieux dans PHANTOMS, tiré du roman de Dean KOONTZ, traitant d'une monstrueuse créature immémoriale, dont l'apparition finale fut malheureusement coupée au profit d'une bien triste animation infographique.

En matière de littérature de l'imaginaire, mentionnons pour mémoire le décès le 18 mars 3014 de l'écrivain américain Lucius SHEPARD; l'écrivain de science-fiction Christopher PRIEST (LE MONDE INVERTI) lui a consacré un hommage biographique : http://www.theguardian.com/books/2014/mar/26/lucius-shepard