jeudi 12 février 2009

Charles DARWIN ET LE DEBAT SUR L'EVOLUTIONNISME

        Il y a exactement deux siècles, le 12 février 1809, naissait Charles DARWIN, qui allait se révéler un esprit brillant; son fameux ouvrage L'ORIGINE DES ESPECES fut quant à lui publié il y'a 150 ans. Inscrit en faculté de médecine conformément aux vœux paternels, le jeune étudiant supporte difficilement la vue du sang et selon son propre aveu, préfère passer tout son temps à chasser les Oiseaux. Pourtant, peu à peu, il se met à éprouver davantage de plaisir à les observer qu'à les tuer. C'est alors qu'un enseignant lui offre l'opportunité qui changera définitivement son destin : embarquer sur un navire d'exploration en tant que jeune naturaliste. Durant les années passées à bord du Beagle ( le titre original, THE SPACE BEAGLE, du roman de science-fiction de A.E. VAN VOGT, LA FAUNE DE L'ESPACE, s'y réfère de manière transparente), le jeune DARWIN accumulera les observations le long de sa travere en Amérique du sud, effectuera une étude très complète sur les Crustacés sessiles cirripèdes, étudiera les plantes carnivores, examinera les fossiles de Mammifères disparus comme le Toxodon et le Paresseux géant, mais surtout élaborera à la suite de ses observations sa théorie de l'évolution, notamment en étudiant la variété des becs des pinsons des Iles Galapagos, différant suivant le régime alimentaire, et postulera qu'ils se soient diversifiés à partir des représentants d'une même espèce ayant gagné l'archipel. Certes, l'idée de transformation progressive des êtres vivants au fil du temps n'était pas totalement inédite, puisqu'elle avait été suggérée dès l'Antiquité au temps des présocratiques, par ANAXIMANDRE qui se disait convaincu que l'homme était issu d'un ancêtre aquatique. Jean-Baptiste de LAMARCK l'avait théorisée, en prêtant cependant à tort aux modifications survenant à l'individu au cours de son existence la possibilité d'être transmises aux descendants (les caractères acquis n'étant pratiquement jamais héréditaires, sauf dans quelques exceptions faisant débat), et le propre grand-père du naturaliste, Erasmus DARWIN, avait eu quelque pressentiment alors qu'il étudiait la botanique. Ainsi, l'évolution passe-telle par la sélection naturelle, qui élimine à chaque génération les moins aptes. Cette vision, n'en déplaise à des scientifiques qui tentent régulièrement de présenter comme dépassées les conceptions de DARWIN, est tout à fait compatible avec le concept de mutations génétiques se produisant régulièrement à chaque génération, la nature conservant les expérimentations les plus profitables; par sa plasticité, le vivant produit spontanément des transformations, la sélection naturelle les orientant dans un sens profitable à l'espèce.

Une maquette reconstituant le Beagle à bord duquel prit place Charles DARWIN

Alors qu'à l'issue d'une âpre lutte avec des figures comme le Baron CUVIER, brillant anatomiste et paléontologue, et son élève BLAINVILLE, l'évolutionnisme s'est imposé en Europe à la fin du XIXème siècle, des réticences subsistent malgrè tout de nos jours, en particulier dans le monde anglo-saxon, notamment de la part de ceux qui font une lecture littérale des textes religieux, désireux qu'ils sont de préserver pour l'être humain une dimension transcendante qui fait, il est vrai, de plus en plus défaut dans le monde moderne.

Aux Etats-Unis, un courant fondamentaliste chrétien s'est maintenu dans certains états très religieux ("Bible belt"), entraînant le fameux "procès du singe" à Dayton en juillet 1925, alors qu'une procédure avait été lancée pour interdire l'enseignement de la théorie de l'évolution - l'avocat renommé qui avait plaidé en ce sens décéda d'ailleurs d'une crise cardiaque à l'issue du procès durant lequel il fut rudement éprouvé alors que sa démonstration rhétorique se heurtait au contre-argumentaire scientifique, fin malheureuse sans doute en rapport avec l'exacerbation, quelque peu excessive, des passions. En dépit de cette défaite des partisans du créationnisme, cette contestation du darwinisme persiste avec quelque force en Amérique.

Aux Etats-Unis, le Musée de la Création propose une version littérale de la Bible : l'Homme et les Dinosaures ont vécu simultanément, au temps où régnait l'harmonie du Paradis terrestre - d'où sans doute l'attitude peu hostile de ces Dinosaures carnivores à l'endroit de la jeune fille. Les créationnistes expliquent que les Dinosaures n'ont pas survécu au Déluge car ils étaient trop gros pour que NOE les prenne à bord de son Arche ; celà n'explique pas pourquoi le personnage biblique a sauvé les Eléphants et pas certains Dinosaures qui n'étaient pas plus gros que des Poulets, comme Compsognathus (reconstitution ci-dessous).

Dans le monde musulman, la théorie de l'évolution ne manque pas de détracteurs, comme l'a mis en lumière récemment un livre luxueux adressé aux établissements scolaires par un théoricien turc, Harun YAHYA.

DARWIN au ban des accusés

L'auteur y avance d'emblée des assimilations plutôt contestables; il considère pratiquement la théorie élaborée par Charles DARWIN comme un "péché originel" dont découleraient tous les crimes modernes - thèse cependant également défendue dans un documentaire télévisé anglo-saxon il y'a une douzaine d'années. L'évolutionnisme aurait inspiré, en faisant prévaloir une conception du monde vivant basée sur la domination du plus fort, le libéralisme économique le plus débridé et injuste (il paraît un peu outré de laisser entendre que les rapports de force et la violence n'existaient pas avant que le zoologiste ne divulguasse ses travaux ), tout autant que le nazisme planifiant l'extermination des races jugées plus primitives (l'auteur prête au naturaliste l'affirmation selon laquelle "les races de couleur moins évoluées que les Européens s'exposaient mécaniquement à être dominées et que, sur le long terme, elles pourraient être amenées à s'éteindre" alors que le naturaliste n'établissait semble-t-il guère de hiérarchie entre les races humaines) et même, pour des raisons qui m'ont toujours paru moins évidentes, le communisme, peut-être parce que la dialectique matérialiste marxiste postulait l'existence d'un processus évolutif qui, depuis l'esclavage, mode de domination économique ancestral de l'individu par le possédant, ultérieurement un peu adouci avec le servage puis le passage au prolétariat salarié, devait conduire prochainement au progrès général avec l'émancipation universelle des individus pour peu que, là aussi à l'issue d'une lutte basée sur les rapports de force, les dominés fassent advenir de manière accélérée la dernière phase de cette évolution. 

Par rapport au reportage britannique évoqué, le dit exégète turc ajoute aussi à la liste de la funeste descendance supposée de DARWIN l'engeance islamiste du 11 septembre 2001, sans préciser aucunement sa pensée - si ce n'est que l'on croit comprendre que les affidés d'Al Quaïda seraient eux aussi tout autant gangrenés par cette culture de la violence, alors même que ceux-là rejettent très vraisemblablement l'idée d'évolution en qualité d'islamistes: sans naturellement créditer d'aucune sorte Harun YAHYA d'un penchant pour la violence, il semble cependant que, sur le plan culturel, Ben LADEN ait davantage en commun avec les fondamentalistes turcs, dont l'auteur, qu'avec DARWIN, et que le contempteur de l'évolution affirme le contraire pour se dédouaner lui-même d'une telle proximité apparaît comme un pur exercice réthorique n'apportant rien à la critique de l'oeuvre du "père de l'évolution".


Le célèbre exemple de la différenciation du bec des espèces de Pinsons des Iles Galapagos à partir d'une souche commune, fondant la théorie darwinienne.

Les interprétations sur les premiers âges de la vie animale

Autre raccourci plutôt abusif, l'auteur se réclam
e, à l'appui de son propos, des écrits de Stephen J. GOULD, universitaire américain qui s'étonnait à juste de titre de "l'explosion cambrienne" - apparition assez soudaine, à l'échelle géologique, de types d'animaux modernes, sans qu'on trouve trace de leurs ancêtres - au début de l'ère paléozoïque (ancienne "ère primaire") ; GOULD en tirait la conclusion que le rythme de l'évolution n'était pas constant, pouvant connaître de brusques accélérations, mais défendait néanmoins vigoureusement l'idée d'évolution, étant, de surcroît, en tant que virulent détracteur des créationnistes et des spiritualistes, sans doute plus irréligieux que DARWIN ne l'a jamais été, lui qui n'avait admis qu'avec embarras, et non sans réticence de son propre aveu, les inflexions qu'entraînaient sur les conceptions bibliques ses découvertes.. Il est vrai que GOULD étant récemment décédé, l'intéressé n'est plus là pour protester, mais il aurait vraisemblablement été partagé entre la colère et l'ironie devant cet enrôlement. 

Il faut cependant convenir qu'on voit effectivement assez soudainement apparaître dans la série géologique un grand nombre d'animaux constitués plus ou moins sur le même modèle que les espèces marines actuelles (Crustacés, Vers annelés, etc...), ainsi que d'autres plus difficilement classables, comme le prédateur Anomalocaris, au début de la période cambrienne - même s'il ne faut pas perdre de vue que la fossilisation est par nature très aléatoire et qu'il est déjà miraculeux de trouver autant de restes d'animaux mous et parfois même presque immatériels comme les Méduses composées principalement d'eau, ce qui rend incertaine la perspective de disposer un jour de séries complètes, comme c'est à présent par contre de plus en plus le cas pour les Vertébrés dont le squelette est davantage susceptible de fossilisation; il faut aussi remarquer par ailleurs que dans le foisonnement des espèces (le "buissonnement" écrivait GOULD pour faire comprendre qu'à partir d'une forme initiale pouvaient rayonner de multiples espèces dérivées), la probabilité est plus grande de trouver les fossiles d'espèces émanant de rameaux parallèles que de découvrir l'ancêtre direct (le "chaînon manquant") d'un animal actuel permettant la reconstitution intégrale de la lignée.


Un remarquable exemple de Méduse primitive conservée dans les terrains précambriens.

Moi-même, je m'étais demandé dès l'adolescence si les formes primitives plus anciennes que le Cambrien - en particulier la faune dite "édiacarienne", composée notamment de créatures plates marquées d'étranges sillons, se prêtant à bien des interprétations - avaient subitement disparu ou avaient été, comme cela me paraissait plus logique, progressivement supplantées par les animaux plus évolués, croyant ainsi voir dans le peu connu Arumberia du début du Paléozoïque une de ces formes aplaties faite de renflements, comme celles des espèces précambriennes d'Ediacara, qui aurait perduré quelque temps. Je viens de lire qu'Arumberia (rien à voir avec le fétiche arumbaya évoqué par HERGE ! ) ne serait en fait qu'une trace de boue fossilisée (un pseudofossile), mais, depuis, d'autres animaux similaires, eux bien réels, ont été trouvés dans des couches géologiques plus récentes que la date supposée de leur extinction massive, comme Aspidella et Stromatoveris

Parallèlement à ce maintien dans le temps de ces formes ancestrales, des traces remontant à la même époque que celle à laquelle ont régné les êtres énigmatiques du Précambrien paraissent déjà indiquer l'existence conjointe d'animaux fouisseurs, probablement plus complexes sur le plan organisationnel, et des pièces dures ( épines et tubes en forme de petites défenses d'Eléphant ) de la faune dite "tommotienne", à peu près contemporaine, mettent à bas l'idée (préconçue) selon laquelle les animaux pourvus de pièces dures (carapace des Animaux à pattes articulées, coquille des Mollusques, test des premiers Oursins et même squelettes coralliens) ne seraient pas apparus avant le Cambrien. De toute manière, même si la faune précambrienne était une tentative évolutive tout à fait isolée, un règne à part de créatures, ni végétales ni animales, (comme l'ont imaginé les paléontologues SEILACHER et PFLUG), homologues des Zoomorphes martiens du beau roman de ROSNY AINE de l'Académie Goncourt, LES NAVIGATEURS DE L'INFINI, il n'en resterait pas moins que cette prétendue "expérience sans lendemain", tout comme l'épisode ultérieur des Dinosaures, n'est pas aussi propice aux vues des créationnistes qu'ils feignent de le croire, car l'idée d'un Créateur s'amusant à concevoir des "culs-de-sac évolutifs" comme ils l'imaginent est assez loin aussi de la Genèse, dans laquelle tout se met en place uniquement dans la perspective de l'avènement du genre humain.

Une belle reconstitution au Smithsonian museum of natural history des premières formes de vie animales dites "édiacariennes" : des Méduses, des créatures plates et des êtres fixés en forme de plume.

Fossile de Stromatoveris; on reconnaît chez cette forme du Cambrien les sillons qui caractérisent les animaux plus anciens des sites édiacariens.


Le temps, élément-clé de la querelle

Par ailleurs, il faut noter que des créationnistes ont déjà été amenés à infléchir leur discours à la suite des découvertes successives. Ceux qui professaient jadis une lecture littérale du récit biblique étaient convaincus qu'il n'y avait eu qu'un unique Déluge, destiné à punir l'humanité pré-chrétienne de sa vie dissolue et de son impiété. La découverte des Dinosaures a constitué une première entrave à cette conception car, malgré quelques récits mythiques sur les Dragons, desquels on pourrait en effet rapprocher les Reptiles géants du Mésozoïque, les textes anciens n'évoquaient pas de coexistence entre humains et Dinosaures - en dépit de quelques canulars récents sans doute initiés par des mouvements créationnistes américains pour tenter de persuader du contraire sur la base de peintures et sculptures précolombiennes assez suspectes. Il aurait donc fallu qu'il y'eût un premier déluge, non évoqué par les Ecritures, ayant balayé les Dinosaures pour laisser la place à nos ancêtres (quant à savoir où se trouvait le Jardin d'Eden, c'est encore un autre débat...).

une iconographie créationniste audacieuse

Compte tenu des différentes vagues massives d'extinctions successives, comme celle du Permien, période à l'issue de laquelle, à la suite d'une catastrophe majeure, un nombre important de nos cousins et ancêtres reptiliens (Synapsides ou "Reptiles mammaliens") ont été effacés en nombre de la surface de la Terre, laissant ainsi la place aux futurs Dinosaures émergeant au Trias, un grand paléontologue créationniste comme le Baron Georges CUVIER en était arrivé assez rapidement à postuler quatre déluges, nombre bientôt porté à dix. Il apparaît en effet que l'histoire de la vie s'est déroulée sur une longue période de temps - on peut toujours mettre en cause telle méthode de datation comme pour l'analyse du Saint Suaire de Turin, mais il est plus difficile de faire l'impasse sur l'ordre assez immuable (en dehors des accidents de terrain) des couches géologiques, empilées toujours dans le même sens, avec pour chacune des faunes similaires à toute époque de part le monde (la faune édiacarienne d'Australie a son correspondant en Sibérie avec la faune vendienne et au Canada avec le gisement de la plage sud de la péninsule Avalon de Terre-Neuve; de même le premier prédateur marin géant, l'étrange Anomalocaris du Cambrien, est maintenant trouvé en Chine, après sa découverte initiale en Colombie britannique).

L'extinction des Dinosaures à la fin du Crétacé ne représente qu'une des catastrophes qui a décimé la vie au cours de son histoire; mais celles-ci ne peuvent expliquer la succession d'espèces qui se poursuit entre deux épisodes dramatiques.

Aussi, certains créationnistes comme Harun YAHYA ne contestent à présent plus la chronologie de l'histoire de la vie telle qu'elle est reconstituée sur plusieurs milliards d'années, mais se limitent à nier la transformation des espèces résultant d'un processus naturel, au profit de créations divines successives, abandonnant en quelque sorte le concept des "dix déluges" de CUVIER au profit d'un nombre incalculable de "recréations". Si le monde entier procède bien d'un plan totalement préétabli, il paraît un peu curieux que Dieu, incarnation de la perfection, retouche sans arrêt son œuvre comme un artiste insatisfait annihilant ses premiers travaux; en outre, cette conception postulant des créations spontanées d'espèces à de multiples reprises, suivies d'extinctions, s'écarte déjà fortement, là encore, du récit biblique selon lequel les différents types d'animaux s'ajoutent simplement les uns aux autres lors de la Genèse à la manière des pièces d'un puzzle, et cette interprétation paraît au moins aussi difficile à se représenter concrètement que d'imaginer que la sélection naturelle, en privilégiant certaines mutations par d'innombrables petites retouches successives, finisse par faire d'Amibes unicellulaires des Girafes au bout d'un milliard d'années.

Dans le film LA VALLEE DE GWANGI, le merveilleux animateur Ray HARRYHAUSEN a donné vie à l'Eohippus, premier représentant de la lignée des Chevaux, rencontrant son lointain descendant moderne.


Evolution et finalité

L'ouvrage d'Harun YAHYA, essentiellement constitué de t
rès belles photos de fossiles, les met en vis-à-vis de l'équivalent vivant, le commentaire, réitéré à chaque page, concluant immanquablement que la similitude entre le fossile et l'animal actuel prouve qu'il n'y aucune évolution, comme si l'auteur feignait d'ignorer que son rythme n'est pas constant pour toutes les espèces, que les groupes les premiers apparus demeurent ainsi souvent sans grand changement tant qu'ils sont adaptés à leur niche écologique (Méduses, Eponges, Scorpions, Requins, Esturgeons, Coelacanthe,..) tandis que les espèces les plus récentes et plus complexes n'existent que depuis quelques millions d'années comme certains Mammifères modernes ou comme les espèces insulaires qui se sont récemment singularisées, permettant de constater des changements perceptibles au cours de la lignée, comme l'accroissement régulier de la taille chez les Chevaux (Equidés) ainsi que des modifications morphologiques et anatomiques, alors que l'apparition des Méduses à l'organisation plus sommaire est bien plus ancienne, remontant vraisemblablement à au moins 700 millions d'années, ce qui conduit à rechercher leurs ancêtres dans les terrains beaucoup plus âgés. D'ailleurs, c'est l'exégète musulman, et non le chercheur évolutionniste, qui postule pour sa démonstration que l'évolution est un phénomène invariant et quelque peu abstrait, tandis que le naturaliste se borne à constater l'existence de "fossiles vivants" suivant tranquillement leur route sur d'innombrables générations car parfaitement adaptés à leur niche écologique alors même qu'on s'affronte sans ménagement au sommet de la chaîne alimentaire pour occuper la place de prédateurs - les Requins eux-mêmes semblent avoir dû un temps céder leur place de prédateurs dominants lorsque de nombreuses espèces de Reptiles marins géants régnaient dans les océans, au temps des Dinosaures.


Contrairement aux Vertébrés terrestres, les premiers animaux ayant conquis les terres émergées, Scorpions, Libellules, Mille-pattes, issus d'une très ancienne évolution, ont peu changé jusqu'à nos jours, excepté que ces créatures, représentées par des reconstitutions réalistes, étaient alors beaucoup plus grandes : La Libellule Meganeura présentait un corps d'un mètre de long et des ailes de 8O centimètres d'envergure; quant à l'Arthropleura, ce Mille-pattes primitif atteignait près de 3 mètres de longueur !

De la même manière, des créationnistes américain
s se sont intéressés à un groupe éteint d'Ongulés sud-américains dépourvu de tout lien de parenté avec des espèces modernes, les Litopternes, qui comportent des formes rappelant le Cheval, comme Thoatherium ou Diadiaphorus. On observe chez ces Litopternes une tendance très nette à la réduction du nombre de sabots en rapport avec les adaptations à la course, comme chez les Equidés originellement pourvus de cinq doigts tel l'Eohippus, mais les créationnistes s'appuient sur un autre genre très différent de Litopterne contemporain des précédents, Macrauchenia, un animal aux allures de Lama pourvu d'un crâne très particulier, en concluant que, puisque celui-ci ne s'inscrit pas dans le même processus évolutif, on ne peut poursuivre le parallèle avec les Chevaux et que donc l'idée même d'évolution est infondée. Il s'agit là d'une erreur d'appréciation procédant d'un mésusage de la classification zoologique : les Litopternes représentent un ordre, rassemblant en son sein plusieurs schémas évolutifs séparés suivant les familles : une lignée hippomorphe avec notamment Thoatherium et Diadiaphorus, et une seconde avec des adaptations spécifiques différentes chez Macrauchenia. De la même manière, les Equidés adaptés à la course ne constituent qu'une tendance au sein des Périssodactyles, végétariens actuels à nombre impair de doigts, au sein desquels les Rhinocéros sont à l'inverse devenus au fil du temps, à partir d'ancêtres analogues à l'Eohippus, des animaux massifs peu adaptés à la vélocité sur grande distance - dans l'autre groupe actuel, les Artiodactyles (à nombre pair de doigts), on retrouve là encore les deux modèles avec des coureurs, comme les Antilopes, et des pachydermes, comme l'Hippopotame - à noter d'ailleurs que le groupe des Ruminants, au sein desquels se rangent les Antilopes et les Cervidés, a commencé à supplanter dans le monde entier celui des Equidés, tout comme les Litopternes avaient sans doute jadis été concurrencés par les Equidés jusqu'à extinction complète, preuve d'une compétition sans cesse renouvelée au sein du monde vivant (sans d'ailleurs, il faut dire, que les raisons amenant à la suprématie d'un groupe sur un autre soient nécessairement évidentes).

Représentant d'un ordre éteint d'Ongulés sud-américain, les Litopternes, Diadiaphorus présente une remarquable convergence morphologique avec les Chevaux; au dessous, son parent plus trappu, Macrauchenia. L'ordre a été invoqué par des créationnistes pour contester la démonstration de Charles DARWIN.


Considérations anatomiques

Le paragraphe d'Harun YAHYA sur les Cétacés est
, il faut en convenir, assez léger : après avoir affirmé qu'il est absurde - à priori guère scientifique - d'envisager que les Baleines puissent descendre d'un ancêtre terrestre quadrupède (ARISTOTE - premier à avoir classé les Eponges au sein du règne animal - avait pourtant déjà noté, entre autre, que le procédé de respiration aérienne des Baleines et Dauphins les apparentaient plus aux Mammifères qu'aux Poissons pourvus de branchies, et il les en avait rapprochés), l'auteur assure qu'il n'en existe aucun indice. Un nombre croissant de fossiles de Cétacés aussi bien que de Siréniens ("vaches marines") primitifs traduisent leur origine terrestre, notamment par les membres postérieurs rudimentaires encore présents à cette époque. Il en va de même pour les Serpents, également descendants d'animaux quadrupèdes; on peut même en trouver encore des traces chez des représentants actuels, ainsi la naissance quelquefois d' un individu né avec des pattes vestigielles, signifiant que même de nos jours le programme génétique ancestral n'a pas tout à fait disparu, ou bien le rudiment de membre griffu subsistant naturellement chez le Boa près du cloaque, jouant un rôle dans la posture de l'accouplement pour s'agripper à la femelle.


Dorudon, un Cétacé disparu, qui possédait encore deux pattes postérieures réduites, héritées des ancêtres quadrupèdes.

Un site créationniste américain tire quant à lui argument de la plus grande ressemblance de la main humaine avec la patte de la Grenouille qu'avec celle du Cheval pour contredire l'idée d'évolution, dans la mesure où le Cheval est pourtant effectivement davantage proche de l'Homme, en tant que Mammifère placentaire; évoquant alors l'idée que les spécificités de la patte du Cheval puissent être simplement dues à son adaptation progressive à la course à partir d'un modèle de base à cinq doigts commun à tous les Vertébrés terrestres, le rédacteur rejette simplement cet argument logique comme relevant d'une fable délirante; là encore, le procédé de la réfutation est un peu court et apparaît plus léger que les approximations scientifiques que l'on s'ingénie à combattre..

De même, que nos ancêtres se soient mis un jour debout sur leurs pattes arrières paraît difficile à se représenter, mais le processus s'est produit à diverses reprises, avec le Kangourou, ainsi qu'avec les Dinosaures comme l'Iguanodon, l'Anatosaure (Dinosaure à bec de canard) ou le terrible Tyrannosaure. Notre capacité de représentation des choses est souvent en-deçà de l'inventivité de la nature, mais ce n'est pas parce que nous éprouvons des difficultés à nous représenter d'une manière immédiate des processus complexes que ceux-là n'ont pas de réalité. Comme écrivait William SHAKESPEARE, il y'a plus de chose dans l'Univers que les imaginations ne sauraient l'envisager, mais ce n'est pas pour autant qu'elles n'existent pas.


L'évolutionnisme et l'évolution des connaissances : une rupture relative ?

L'évolution n'est pourtant pas un concept si scandaleusement révolutionnaire qu'on le prétend. A la suite de LEIBNIZ et de ses monades, les naturalistes des Lumières, puis les savants créationnistes du XIXème siècle comme CUVIER, cherchaient des types transitoires entre toutes les séries, entre végétal et animal, entre vers et insectes, etc.. témoignant d'une continuité entre les êtres vivants, même si Dieu les avait conçus simultanément - l'idée que les variantes anatomiques sont reliées les unes aux autres par des déclinaisons subtiles n'est en fin de compte pas si éloignée du concept d'évolution déduisant que tous les êtres vivants descendent d'ancêtres communs; par ailleurs, l'Eglise catholique, en condamnant des animaux au cours de procès au Moyen-Age, les rapprochait finalement plus de l'Homme que DARWIN lui-même nous apparentant aux grands singes anthropoïdes !

Deux célèbres naturalistes du XIXème siècle qui n'adhéraient pas à la théorie évolutionniste : le baron Georges CUVIER (en haut) et son irrévérencieux élève Henri de BLAINVILLE, venu étudier la peinture à Paris, à qui le célèbre paléontologiste donna sa chance, à une époque à laquelle les scientifiques étaient plus ouverts d'esprit à l'endroit de ceux qui n'étaient pas issus du cursus imposé. CUVIER ne croyait pas que les animaux à pattes articulées comme les Mille-pattes étaient issus des Vers annelés comme le Lombric, mais il pensait qu'ils procédaient d'un même modèle, ce qui n'est finalement pas si loin de l'idée que ces deux groupes puissent avoir pris naissance sur un même rameau de l'évolution de la vie.

La problématique de l'histoire de la vie est suffisamment captivante et complexe pour qu'on ne s'égare pas dans des à priori - les paléontologues eux-mêmes ont d'abord eu tendance à rapporter systématiquement à des espèces connues toutes les découvertes problématiques et leurs successeurs sont à présent à l'inverse enclins à considérer toute forme un tant soit peu inhabituelle comme étant nécessairement représentative d'un rameau tout à fait nouveau du règne animal (tendance lourde à la diversité taxonomique, puisque pour les Poissons et Oiseaux actuels les classificateurs modernes ont éclaté la douzaine d'ordres des années 1950 - comme les Echassiers ou les Palmipèdes - en environ une soixantaine pour chacune des deux classes !), de fait qu'il est un peu difficile de trouver soi-même le juste milieu entre ces interprétations conventionnelles ou bien à l'inverse plus audacieuses, singularisantes, des premières formes de vie animales fossiles. J'aurais moi-même tendance à trouver quelque séduction à l'idée d'épisodes de l'histoire de la vie originaux et distincts dans le temps, faciles à catégoriser, comme celui caractérisé par les curieuses créatures plates des collines d'Ediacara, ou, encore plus anciennement, celui recélant d'énigmatiques êtres mi-animaux mi-végétaux trouvés en Namibie, comme autant d'épisodes traduisant des ébauches étranges et sans lendemain, des expérimentations de la nature, représentant des mondes spécifiques, presque extraterrestres - même si je m'interroge quant à savoir si les créatures sessiles de Namibie sont vraiment l'expression d'un règne vivant totalement inédit ou si celles-ci ne sont que de lointains équivalents de nos Eponges et Anémones de mer. Mais, même en Namibie, on aurait trouvé au milieu des formes végétatives mystérieuses quelques restes d'animaux plats semblant s'apparenter d'assez près à ceux d'Ediacara, preuve que les créatures vivantes ne se succèdent pas simplement dans le temps, mais que les nouvelles coexistent durant une certaine période avec des formes plus anciennes, dont elles peuvent dériver (Harun YAYAH signale ainsi que l'Archæoptéryx, Oiseau considéré comme le plus primitif, aurait été, selon ce qu'il en rapporte, trouvé dans le même site fossilifère qu'un Oiseau d'allure plus moderne), indiquant effectivement selon moi que de nouvelles espèces apparaissent continûment et qu' une partie des précédentes avec lesquelles elles entrent directement en concurrence finissent par être supplantées, sur un terme plus ou moins long - je pense qu'on observe aussi un processus en partie analogue dans l'histoire, une partie de la culture d' Empires vaincus ne disparaissant pas immédiatement, comme la culture grecque recyclée par l'Empire romain par exemple, ou la Révolution française n'ayant pas empêché que trois rois règnent à nouveau sur la France au XIXème siècle ; les choses ne sont pas aussi immédiates qu'on veut se les représenter, les transitions aussi linéaires et ordonnées que dans les conceptions schématiques qu'on invente; la nature crée de la nouveauté puis, à la manière du processus continu de la marée, les "moins aptes" finissent sur un terme plus ou moins lointain (en fonction notamment de la plus ou moins grande âpreté de la concurrence inter-spécifique corrélée aux ressources disponibles) par être emportés dans le grand cimetière des espèces "réformées" définitivement.


Les naturalistes de l'ancien temps avaient tendance, en s'appuyant sur ce qu'ils connaissaient, à rapprocher systématiquement les espèces disparues d'équivalents vivants. Charles DARWIN notait ainsi que le Toxodon (en haut, squelette, et dessin d'un crâne) aux allure d'Hippopotame, évoquait un genre de Rongeur gigantesque évoquant le Capybara (représentation en dessous), le plus grand Rongeur actuel tout en prése,tant aussi des ressemblances avec les rhinocéros et l'hippopotame, et, de la même manière, le naturaliste décelait une lointaine parenté entre le Litopterne Macrauchenia précité probablement pourvu d'une courte trompe et le Lama, sur la base du cou ; il avait toutefois pressenti que ces deux fossiles sud-américains devaient appartenir à des ordres de Mammifères ongulés complètement éteints - les deux dessins sont des illustrations issues du livre consacré par le naturaliste à l'expédition du Beagle, qui peut être lu dans sa langue d'origine sur le site http://darwin-online.org.uk. L'évolution a en fait donné naissance à bien des branches éteintes, mais ce foisonnement et ces extinctions ne remettent nullement en cause la vision darwinienne.


Enjeux philosophiques

Il est selon moi un peu curieux que ceux qui contestent la vision
matérialiste du monde moderne fassent de l'évolution leur cible prioritaire - alors même que les sciences naturelles étudiées par des scientifiques souvent assez outrecuidants intéressent de moins en moins le grand public, particulièrement ignare en la matière (qui peut seulement énumérer, sur plus de trente embranchements encore existants, les dix types zoologiques les plus courants, qui sont pourtant tous représentés par des animaux connus du grand public ? On n'imagine pas semblable inculture dans tout autre domaine de la culture générale "classique"). D'ailleurs, ce n'est pas tant la notion d'évolution elle-même qui contredit toute vision un tant soit peu transcendante de l'homme que le réductionnisme moderne de biochimistes du comportement anglo-saxons poussant le concept à son extrême, en expliquant que le moindre sentiment, la plus petite de nos actions, est totalement réductible à des signaux chimiques et aux manoeuvres insidieuses de nos gènes, conception qui aboutit à dépeindre l'être humain comme n'étant rien d'autre qu'une simple addition de cellules dépourvue du moindre libre arbitre (même s'il est vrai que nombre d'espèces comme les Poulpes, les Calmars et des Crustacés parasites meurent dès qu'ils ont engendré la génération suivante, comme si le rôle de l'individu n'était effectivement que de transmettre son modèle génétique au fil du temps) ; mais cependant, dire, avec la distanciation un peu goguenarde de l'entomologiste averti, que l'homme n'est rien d'autre qu'une "marionnette" manipulée par ses gènes est faire fi de sa complexité comportementale et de la variabilité interindividuelle de celle-ci - à l'instar d'ailleurs des partisans du transgénisme qui ne voient la vie que comme un Mécano géant !

La théorie de l'évolution ne procède cependant pas, comme on s'est efforcé à le montrer ici, d'une conviction préétablie mais résulte d'un raisonnement de type hypothétique basé sur un certain nombre de faits et de déductions.

Une des nombreuses illustrations concrètes de l'évolution est fournie par le groupe des Ichtyosaures, les plus adaptés des Reptiles à la vie marine, équivalents des Dauphins et Baleines pour les Mammifères, qui donnaient même naissance à des petits vivants, s'affranchissant ainsi de la nécessité d'aller pondre sur le rivage. Les Ichtyosaures comme Ophtalmosaurus, en bas ( reconstitution animatronique pour la B.B.C. par les studios Crawley Creatures ) avaient une morphologie rappellant beaucoup celle des Poissons, mais les formes plus anciennes comme Besanosaurus, au-dessus ( superbe reconstitution du musée de Milan par Valter FOGATO, http://www.fogato.com ) présentent une allure se rapprochant davantage du Reptile quadrupède dont ils dérivent.

La perspective que l'homme soit issu d'une espèce de singe préhistorique n'est pas en soit contraire à l'idée d'un dessein divin comme l'indiquait le père THEILARD de CHARDIN - même si celui-ci voulait déceler dans l'évolution une téléologie, un mouvement ordonné et progressif témoignant d'un plan divin, alors que son mouvement apparaît à présent plus complexe voire aléatoire, certains défendant l'idée que les Vertébrés seraient issus d'animaux disparus singuliers, les Calcicordés, les Poissons dérivant selon cette théorie d'animaux ayant changé à plusieurs reprises d'axe de symétrie, accréditant l'idée d'un caractère très hasardeux du cheminement évolutif. Une perspective par contre bien plus dérangeante résulte du fait que la naissance de chaque individu, très loin d'être voulue par le Créateur, dépend elle-même totalement du hasard, soumise à tant d'aléas de la vie et à la loterie des innombrables spermatozoïdes, comme même l'Eglise ne le nie pas - ce qui est peut-être à rapprocher de sa conception nataliste, visant à donner une chance à davantage d'individus de pouvoir être engendrés et donc d'exister, à l'inverse des Bouddhistes qui croient que l'âme est préexistante à toute incarnation et que les avatars de ses vies successives sont accessoires. Un chrétien serait ainsi en droit de s'effrayer davantage, rétrospectivement, de l'évidence qu'il aurait très bien pu ne jamais exister ( qu'il y'avait même de forte chance qu'un frère ou une sœur fut engendrée à sa place, si un autre spermatozoïde était parvenu le premier à s'unir à l'ovule maternel ) plutôt que de déplorer que ses lointains ancêtres soient issus du monde animal. Car si le problème de l'évolution concerne finalement la question un peu technique des modalités de l'origine de l'humanité, le hasard de la naissance, lui, touche de la manière la plus directe au problème de l'ontologie même de l'individu humain, chacun s'apercevant qu'il sort miraculeusement du Néant, et que son existence est donc parfaitement accidentelle..

mardi 13 janvier 2009

UN ILLUSTRATEUR DE L'AGE D'OR DE LA SCIENCE-FICTION DISPARAIT


L'âge d'or de la science-fiction américaine a débuté au milieu des années 1920 avec la revue Amazing stories, puis s'est développé dans de nouveaux périodiques, le papier de texture assez grossière valant à ces différents magazines le surnom de "pulps" - papier ressemblant à de la pulpe. Rompant avec une science-fiction plus naïve d'auteurs comme Ray CUMMINGS ( LA FILLE DANS L'ATOME D'OR ) et Edgard Rice BURROUGHS ( le cycle JOHN CARTER SUR MARS ), ces titres accueillirent principalement des auteurs s'inspirant des œuvres d'inspiration plus scientifique d'Herbert George WELLS que ces magazines popularisaient, tels Murray LEINSTER ou Jack WILLIAMSON, lequel était un grand admirateur de l'écrivain britannique.

Il arrivait que les auteurs ne soient pas très prolixes dans leurs descriptions de mondes inconnus et de créatures étranges; il revenait alors aux illustrateurs de puiser dans leur propre imagination pour concrétiser leurs fabuleuses visions. Nombre de ces artistes, dont certains critiques ont parfois évoqué avec condescendance des œuvres selon eux trop outrées et raccoleuses, mais qui continuent à exercer une véritable fascination de nos jours, ont disparu il y'a plusieurs décennies, comme Frank Rudolph PAUL, Leo MOREY, Hans WESSOLOWSKI dit WESSO, ou encore Virgil FINLAY. L'un d'eux, pourtant, vient de s'éteindre ce 25 décembre 2008, à l'âge de 94 ans.

Edward Daniel CARTIER, plus connu sous son diminutif d'Edd CARTIER, était né dans le New Jersey en 1914. Il est sans doute un peu moins connu que les autres dessinateurs précités, car il réalisait beaucoup plus d'illustrations intérieures que de couvertures. Il commença notamment par illustrer la série THE SHADOW, contant les agissements d'un justicier, qui donna lieu à plusieurs adaptations cinématographiques. C'est John CAMPBELL, depuis peu rédacteur en chef de la revue Astounding science fiction, qui le recrute pour un nouveau magazine, Unknown, davantage axé sur le fantastique, à la manière de l'illustre Weird tales qui avait révélé des auteurs comme H.P. LOVECRAFT et Robert HOWARD. Unknown permet à Edd CARTIER de donner vie à bien des personnages inquiétants, gnomes, démiurges, mauvais génies, etc... Edd CARTIER concevait une admiration toute particulière pour Ron L. HUBBARD, dont il illustra 32 nouvelles, et qu'il tenait pour un auteur inventif capable d'insuffler une forte présence aux personnages qu'il inventait - les best-sellers du cycle TERRE CHAMP DE BATAILLE et sa création du mouvement controversé de la scientologie ont quelque peu occulté depuis la période durant laquelle l'écrivain alimentait les pulps en nouvelles traitant du destin. L'artiste avait aussi illustré des récits d'Isaac ASIMOV et de Robert HEINLEIN.

Edd CARTIER a illustré également des nouvelles de
Theodore STURGEON, comme TINY ET LE MONSTRE et ÇA ( IT ) et son mort-vivant ressemblant à un Golem fait de boue.

La créature meurtrière de ÇA de Theodore STURGEON
au sommaire d'un numéro d'Unknown,
scanné par notre ami Jacques HAMON du site de science-fiction très complet Collectors showcase : http://www.collectorshowcase.fr/


Autre représentation d'une créature de Theodore STURGEON, en l'occurrence l'extraterrestre de TINY ET LE MONSTRE figurant dans Astounding Science Fiction.

Après la fin de la seconde guerre mondiale durant laquelle il a été blessé à Bastogne, en Belgique, au cours de la Bataille des Ardennes, Edd CARTIER a repris sa collaboration aux pulps, tels qu'Astounding science fiction et Planet stories.

On doit à Edd CARTIER des extraterrestres assez pittoresques. Il avait lui-même écrit un essai témoignant de son intérêt pour le sujet, "Life in other worlds", publié dans l'anthologie TRAVELLERS OF SPACE, agrémenté de ses représentations de la vie extraterrestre. Ses créatures sont très différentes de celles que proposent les illustrateurs contemporains, avec leurs formes épurées et fuselées qui évoquent parfois les lignes des derniers modèles de l'aéronautique. Les courbes renflées des extraterrestres d'Edd CARTIER s'apparenteraient plutôt aux formes lâches que le peintre espagnol Salvador DALI prêtait aux objets, notamment sa série dite "des montres molles". Les créatures de CARTIER sont grotesques sans être ridicules, expriment une vraie étrangeté sans être improbables et évoquent aussi quelque peu des formes de vie terrestre sans en être la décalque. Le célèbre astronome passionné de spiritisme du XIXème siècle, Camille FLAMMARION, aurait sûrement dit qu'à présent affranchi de son corps terrestre, l'esprit d'Edd CARTIER pouvait désormais s'élancer vers les mondes extraterrestres pour y découvrir les formes de vie étrangères qui avaient stimulé son imagination.

Une créature d'Edd CARTIER que le célèbre astrophyscien Carl SAGAN, auteur du roman CONTACT qui fut adapté au cinéma, avait choisie pour illustrer son chapitre sur la vie extraterrestre dans son célèbre ouvrage COSMOS, devenu une série télévisée.



Cette espèce évoquant une "limace de mer" quelque peu mâtinée de bovin est particulièrement marquante.

la série complète, ainsi que des couvertures pour Unknown, peut être vue sur ce site :

Signalons au passage deux autres décès récents qui méritent d'être cités. Forrest J. ACKERMAN, âgé de 92 ans, qui s'est éteint le 4 décembre 2008, était connu comme le plus ancien et le plus représentatif des amateurs de fantastique et de science-fiction. Il avait été un des premiers à obtenir la musique de la première version de KING KONG et n'avait depuis cessé de collecter maquettes et costumes originaux des films fantastiques. Il avait aussi créé une revue de cinéma célèbre, Famous monsters, qui, même si elle n'accordait guère de place à l'aspect analytique des oeuvres, a su fédérer un public de passionnés et ouvrir la voie à d'autres magazines. Il avait par ailleurs fait quelques apparitions dans des films de série B. Souhaitons de toujours conserver à son exemple un peu de l'émerveillement de l'enfance.

Deux couvertures de la revue Famous monsters, mettant à l'honneur le Martien de LA GUERRE DES MONDE de Byron HASKINS et le cyclope cornu créé par Ray HARRYHAUSEN pour LE SEPTIEME VOYAGE DE SINBAD, représentant deux classiques du cinéma des années 1950.

L'acteur Patrick McGOOHAN, disparu à l'âge de 80 ans le 3 janvier 2009, était surtout connu pour son rôle dans deux séries, DESTINATION DANGER, une série d'espionnage, et LE PRISONNIER, qu'il avait lui-même conçue, série surréaliste tournée dans le petit village de Portmeirion, dans laquelle il prêtait ses traits volontaires à l'obstiné "Numéro 6", ancien agent des services secrets à qui une mystérieuse organisation tentait par tous les moyens d'extirper des renseignements. Il avait aussi tourné dans quelques films fantastiques. Dans SCANNERS (1981) de David CRONENBERG, il incarnait un scientifique dont la substance chimique prescrite à des femmes enceintes, l'éphémérol, avait engendré la naissance de mutants aux pouvoirs parapsychiques, susceptibles de mettre en péril l'humanité. Dans BABY, LE SECRET DE LA LEGENDE OUBLIEE ( 1985) de Bill NORTON, basé sur la légende du Mokélé-mbembé, il découvrait dans une jungle africaine reculée un petit groupe de Brontosaures ayant survécu à l'extinction des Dinosaures, qu'il voulait présenter comme attraction, s'opposant à un couple de naturalistes interprétés par William KATT (HOUSE) et Sean YOUNG (BLADE RUNNER, DUNE), qui désirait les maintenir dans leur milieu naturel. Le regard perçant et ténébreux de Patrick McGOOHAN, devenu symbole de la lutte archétypale du Numéro 6 contre toutes les formes de manipulation mentale, continuera encore longtemps de nous marquer.

La première adaptation livresque de la série LE PRISONNIER
par l'écrivain de science-fiction Thomas DISCH
,
qui a mis fin à ses jours récemment, le 4 juillet 2008
( hommage à
l'auteur de science-fiction: http://www.cafardcosmique.com/DISCH-Thomas ).

L'acteur, barbu dans BABY, LE SECRET DE LA LEGENDE OUBLIEE.

mardi 16 décembre 2008

LES MONSTRES INVESTISSENT LES PLANCHES

Ces derniers temps, les êtres imaginaires paraissent investir les scènes, et notamment l'opéra, dont l'univers culturel et les codes sont pourtant généralement fort différents de ceux du fantastique ou de la science-fiction. Certes, le personnage du comte DRACULA a été popularisé sur les planches par Bela LUGOSI avant que celui-ci ne l'interprète pour le grand écran, et, plus classiquement, les opéras comme ceux conçus par le grand compositeur Richard WAGNER mettent quelquefois en scène des êtres mythiques.

opéra sur SIEGRFRID avec son dragon, singulier réveil-matin médiéval...

On évoquait sur ce site le 31 octobre dernier la contribution récente de Carlo RAMBALDI, le célèbre créateur de E.T. L'EXTRATERRESTRE, à l'opéra italien LA DIVINE COMEDIE basée sur l'oeuvre de Dante ALIEGHERI, en collaboration avec Sergio STIVALETTI, notamment la création d'un griffon.

Récemment, on a fait quelque écho à l'adaptation sous forme d'opéra par David CRONENBERG de son propre film LA MOUCHE, remake de LA MOUCHE NOIRE - lequel comportait, il est vrai, une scène se déroulant à l'opéra. Le metteur en scène a demandé au compositeur Howard SHORE d'assurer l'adaptation de la partition qu'il avait créée à l'époque, et les effets spéciaux ont été confiés au Canadien Stephen DUPUIS qui avait assisté Chris WALAS sur le film, avant d'être chargé des effets spéciaux de la suite très honorable que WALAS dirigea -laquelle combinait la thématique des deux suites de LA MOUCHE NOIRE. Les créatures, réalisées en d'autres matériaux plus légers, sont assez réussies, notamment une réplique du Babouin téléporté par le chercheur audacieux, et l'horrifiant et éprouvant résultat produit par ce premier essai malencontreux.

Daniel OKULITCH, nouvel interprète du personnage de Brundle

préparation du maquillage du savant dont l'A.D.N. a fusionné avec les gènes d'une mouche indésirable à la suite d'un essai de transmission de matière

Un final horrifiant réminiscent de celui du modèle cinématographique

Un autre chef-d'oeuvre du cinéma de science-fiction des années 1980 pourrait être porté sur les planches, puisque le cinéaste italien Dario ARGENTO - d'ailleurs réalisateur d'un film appelé OPERA - a fait part de son intention d'adapter au théâtre le chef-d'oeuvre de John CARPENTER, THE THING, en utilisant une salle réfrigérée pour que les acteurs comme l'auditoire se trouvent plongés dans les mêmes conditions climatiques que les personnages de l'histoire affrontant une redoutable entité extraterrestre. Souhaitons à ceux-là que le spectacle ne se tienne pas au plus chaud de l'été : le tournage du film qui avait eu lieu pour l'essentiel en août 1981 avait occasionné des problèmes de santé à la plupart des membres de l'équipe, par le contraste entre le froid rigoureux maintenu dans le studio et la canicule qui régnait à l'extérieur...

la base norvégienne dévastée élaborée dans les studios réfrigérés d'Universal lors du tournage de THE THING

La chaîne de télévision franco-allemande Arte avait diffusé il y'a quelques années un opéra de Michael OBST adaptant SOLARIS, probablement le plus grand roman de science-fiction, écrit par l'auteur polonais Stanislas LEM, décédé il y'a quelques années. On peut rendre crédit au maître d'oeuvre du respect qu'il témoigne à l'égard du texte original, même s' il peut être un peu déconcertant d'entendre un chanteur lyrique déclamer des phrases comme: "il faut que nous étudions ces mystérieux neutrinos entrant dans la composition des répliques des êtres chers produites par l'Océan, qui nous tourmentent en révélant nos pensées les plus intimes".

D'autres personnages fantastiques pourraient encore enrichir les rangs des théâtres et opéras, à la suite de cette récente pièce inspirée d'EDWARD AUX MAINS D'ARGENT de Tim BURTON.

Signalons par ailleurs la disparition récentes de deux personnalités du monde culturel. En premier lieu, celle de Francis LACASSIN; éditeur de bien des ouvrages, il avait notamment initié les hommages à deux créateurs de monstres célèbres, avec un numéro des Cahiers de Lerne consacré à Howard Philip LOVECRAFT, à la suite de Jacques BERGIER qui l'avait fait connaître en France, et avec d'autre part la réédition chez Bouquins des œuvres de Gustave LE ROUGE , recueil qui, outre diverses histoires d'aventures, comportait les deux volets de LA GUERRE DES VAMPIRES avec son étonnant écosystème martien, volume pour lequel il a écrit une introduction conséquente qui rappelait notamment la proximité de l'auteur avec l'écrivain bien connu Blaise CENDRARS.

Francis LACASSIN, un éditeur passionné qui ne dédaignait pas les créateurs de monstres, alors qu'en France beaucoup de spécialistes de la littérature et d'émissions télévisées tiennent en piètre estime la science-fiction

Le producteur Christian FECHNER, quant à lui, avait produit des films très divers, mais le grand public a surtout retenu les divertissements populaires et notamment des comédies avec l'inimitable Louis de FUNES. Ce dernier n'était certes pas un "monstre", mais seulement un "monstre sacré"( auquel nos amis canadiens du Club des monstres ont consacré un sujet ). Même si le producteur a produit une comédie sur un extraterrestre mettant en scène ce dernier, LA SOUPE AUX CHOUX, chronique nostalgique de la France rurale des années 1950 au travers de la farce, c'est une autre raison qui amène à l'évoquer ici. FECHNER a expliqué qu'il avait été le seul producteur à avoir engagé Louis de FUNES à l'époque où ses ennuis de santé l'avaient fait écarter du métier par défection des assurances. FECHNER prit des risques financiers pour que le célèbre comédien puisse entamer une seconde partie de carrière fructueuse. On aimerait donc que, suivant son exemple, des producteurs américains, voire des hommes d'affaires ou de riches héritiers, attristés par le fait que les plus grands noms des effets spéciaux comme ROB BOTTIN ou Chris WALAS se sont vus interdire de créer de nouveaux monstres en raison de la préférence actuelle des producteurs pour la facilité des trucages par ordinateur ( le premier ayant même été pratiquement congédié, en dépit de sa notoriété, par le metteur en scène de DEEP RISING qui le jugeait trop perfectionniste ) mettent fin à ce gâchis en finançant des films dans lesquels les créateurs évincés pourraient donner libre cours à leur talent et être assurés que le montage conserverait cette fois en l'état, sans retouches numériques, les prodiges qu'ils réaliseraient.

On recherche producteurs courageux ou cinéphiles généreux susceptibles de permettre le retour de grands créateurs dont on est sans nouvelles...