lundi 12 février 2024

PLANTES UNICELLULAIRES MACROSCOPIQUES ET MICROBES GEANTS

 UN MONDE MINUSCULE VISIBLE A L'OEIL NU, 2de partie

        Dans le premier volet de ce dossier, ont été dévoilés au lecteur un certain nombre d’animaux méconnus dont les formes apparentées sont en principe d’une grandeur d’ordre microscopique, mais qui exceptionnellement franchissent le seul de la visibilité en excédant notablement le millimètre en deçà duquel nous peinons à déceler jusqu’à leur présence sans recourir aux instruments d’optique, et cela est évidemment plus étonnant lorsqu’il s’agit d’êtres formés d’une seule cellule, la plus petite unité de matière vivante, lesquels n’ont été découverts par hasard qu’à l’occasion de l’invention du microscope en 1676 par le drapier néerlandais Anton van Leeuwenhoeck.

        On a tendance à diviser de manière profane le monde végétal en opposant les plantes diverses depuis les algues marines que découvre la marée basse jusqu’aux plantes à fleurs des prairies et aux arbres qui peuvent être gigantesques comme le baobab et le séquoia, aux formes microscopiques qui constituent la base du plancton, telles les diatomées marines et les plus méconnues desmidiées des eaux douces. On englobe aussi dans ce phytoplancton les formes photosynthétiques traditionnellement appelées les phytoflagellés en les distinguant ainsi des algues unicellulaires stricto sensu, même si en dépit de l’étymologie, on y inclut certaines formes capables de se nourrir alternativement en ingérant d’autres organismes comme le font notamment les euglènes, ce qui les faisait habituellement ranger parmi les Protozoaires – cette frontière mouvante avait incité le grand naturaliste Ernst Haeckel à englober tous les êtres unicellulaires à noyau dans un unique ensemble des Protistes. Les divers représentants désignés comme des phytoflagellés sont généralement invisibles à l’œil nu, même si leur concentration peut révéler leur présence comme dans le cas des "marées rouges", résultant de la prolifération de Péridiniens (voir article "La revanche des plus humbles" en août 2010). Parmi eux, le Noctiluque, dont la présence en masse crée les "marées argentées", peut avoir individuellement un diamètre de 2 millimètres. Chez les Phytomonadines, les individus constituent des colonies sphériques, tel le Volvox, celles-ci pouvant aussi atteindre 2 millimètres de diamètre, comme une petite tête d’épingle.

En haut, des Phytomonadines visibles à l'œil nu, en dessous, des volvox photographiés à côté d'une larve de triton et en bas un gros plan sur une colonie sphérique de volvox permettant de distinguer les cellules-filles produites par division ; certains biologistes ont voulu voir dans cette multiplication cellulaire dont l'allure rappelle le premier stade du développement embryonnaire appelé morula un reflet de la manière dont ont pu se constituer les premiers organismes multicellulaires.

En haut, Noctiluque visible à l'œil nu en haut à droite à côté d'un ormeau recouvert par une colonie de Bryozoaires ; en dessous, gros plan sur l'organisme avec son flagelle en haut qui lui permet de se mouvoir et qui incite traditionnellement à classer ce Péridinien parmi les animaux unicellulaires.

    Jardins unicellulaires

    Le terme d’algue procède en fait d’une commodité langagière, car il n’y a pas grand-chose de similaire entre la diatomée précitée, unicellulaire en forme de losange qui se déplace lentement au sein du plancton océanique, et les grandes algues fixées au substrat comme les sargasses et les laminaires. Il est cependant manifeste que comme pour les animaux, les algues ont débuté leur évolution par des formes unicellulaires et certaines algues actuelles qui poussent sur le fond marin évoquent ces lointaines origines en n’étant constituées que d’une unique cellule atteignant une taille inhabituelle pour tout naturaliste féru du microscope qui n’est guère habitué à regarder une cellule à l’œil nu.



Les diatomées sont des algues unicellulaires de taille microscopique, à la différence de ces modèles conçus par les artistes Lucile Viaud et Stéphane Rivoal de la société Silicybine, présentés de manière à ce que le public puisse en percevoir la morphologie en trois dimensions au sein du muséum d'histoire naturelle de Nantes (http://galerie-mira-nantes.com/espace/expositions/diatomees/). Il existe cependant certaines formes d'algues composées d'une seule cellule qui sont tout à fait visibles à l'œil nu.

        L’acétabulaire se joue allègrement de l’échelle. Elle débute son existence sous forme d’une cellule minuscule renfermant en son sein le noyau, laquelle se fixe à tout type de support marin par des rhizoïdes puis elle génère un pédoncule pouvant atteindre une longueur de 10 centimètres, se terminant par une ombrelle d’environ un centimètre de diamètre qui abrite les cellules reproductrices. En hiver, elle devient invisible à l’œil nu avant de développer de nouveau sa structure procréative. De couleur verte, bleue ou blanche, "l’ombrelle de mer" ne nous apparaît donc à l’instar des champignons que par l’intermédiaire de ses organes reproducteurs provisoires qui produisent puis éjectent les gamètes.

Un bouquet d'acétabulaires.

        Il y a encore plus étonnant. La Méditerranée a commencé à partir de 1984 à être envahie par une algue accidentellement disséminée par le laboratoire océanologique de Monaco, investissant une zone dont la superficie était passée en vingt ans d’1 m² à 5000 hectares, soit 50 km², ce qui s’avérait très problématique car son foisonnement supplantait les herbiers à posidonies prisés de la faune. À partir de 2011, l’invasion a cependant commencé à régresser et l'espèce tropicale a progressivement disparu sans que la raison en soit connue. Cette séquence a donc momentanément rendu célèbre Taxifolia caulerpa, mais cette espèce mérite notre attention à un second titre. Sous son allure d’algue assez conventionnelle, la caulerpe est un organisme unicellulaire tout comme l’acétabulaire même si seule son étude détaillée le révèle, et ses frondaisons peuvent atteindre jusqu’à un mètre de haut, ce qui en fait une cellule vraiment démesurée et le record toutes catégories pour notre sujet. Elle mime en fait la spécialisation des formes pluricellulaires, la molécule d’ARN, qui régule la physiologie de la cellule en complément des instructions générales définissant la structure de l’organisme contenues dans celle de l’ADN du noyau, s’est différenciée suivant que la région concernée est la fronde (la "feuille") ou bien le crampon assurant la fixation. On sait déjà que les animaux unicellulaires comme ceux de la classe des Ciliés ou Alvéolates peuvent présenter des structures très diversifiées et complexes qu’on appelle organites par analogie avec les organes des êtres multicellulaires ; cette diversification des structures au sein d’une cellule géante ne rend plus si improbable théoriquement l’audacieuse vision de l’écrivain de science-fiction français Max-André Rayjean qui imagine des Protozoaires géants dans son roman futuriste L’ère cinquième autrefois édité par le Fleuve noir.

La Caulerpe Taxifolia : une plante marine, mais constituée d'une seule cellule ! 

        Une autre algue unicellulaire visible à l’œil nu, Ventricaria ventricosa, auparavant appelée Valonia, cultive aussi à sa façon la potentialité évolutive de son état primordial. Celle-ci se présente comme une forme ovoïde de cinq centimètres vivant dans les anfractuosités, de couleur verte mais qui peut parfois apparaître argentée ou noire selon l’environnement et que sa forme fait surnommer "œil de marin". Elle a trouvé comme moyen d’accroître sa taille la subdivision du cytoplasme, les différentes parties encloses à l’intérieur d’une unique paroi cellulaire restent reliées entre elles par une fine connexion. Elles possèdent chacune un noyau et quelques chloroplastes réalisant la photosynthèse. Par conséquent, on peut bien parler d’une forme unicellulaire mais de type syncytium : une cellule qui n’a pas mené à terme le processus de division cellulaire mais a commencé à multiplier ses noyaux en son sein, ce qui est aussi courant chez un type d’animaux unicellulaires appelés Myxozoaires (évoqués dans l’article de septembre 2014). Ventricaria pourrait figurer l’étape initiale du stade multicellulaire, dont le volvox constituerait un modèle plus avancé, de la division cellulaire esquissée à la colonie, celle-ci se fondant finalement en un organisme complexe unique dont les cellules constituent des subdivisions selon différentes fonctions aboutissant aux plantes et aux animaux évolués (métazoaires).

Il ne s'agit pas d'une émeraude, mais d'une algue unicellulaire visible à l'œil nu, la Ventricaria.

         Un titan chez les microbes !

      La présence bactérienne n’était ordinairement visible qu’au travers de denses colonies, mais l’espèce Thiomargarita magnifica qu’on trouve parmi les feuilles en décomposition des mangroves des Caraïbes atteint 2 centimètres, soit plus de 1000 fois plus qu’une bactérie standard dont la taille est de l’ordre de deux microns (le micron étant le millième de millimètre), ressemblant tant par son apparence que par sa taille à un cil humain. Jusqu’à présent avait été répertoriée une espèce mesurant 0,75 millimètres qui est classée dans le même genre que son parent récemment identifié, Thiomargarita namibiensis. Ces dimensions démentent l’interprétation classique selon laquelle ces formes très anciennes, apparues d’après les registres fossiles il y a 3 milliards 800 millions d’années, soit relativement peu de temps après la formation de notre planète il y a un plus de 4 milliards d’années, sont si primitives et rudimentaires que leur cellule était nécessairement limitée à une taille beaucoup plus infime que les cellules plus organisées qui centralisent l’information génétique définissant la structure et les propriétés essentielles dans un noyau où se trouve stocké l’ADN codant.

Des bactéries assez grandes pour pouvoir être photographiées aux côtés d'une pièce de monnaie.

        Cette découverte effectuée en juin 2022 amène effectivement à repenser la représentation que nous avons des bactéries. Ainsi, Thiomargarita magnifica manifeste des adaptations qui expliquent manifestement sa taille démesurée pour son règne, la rendant bien plus grande que nombre d’animaux pluricellulaires. Elle est non seulement remplie d’eau à 75%, renfermée dans une poche, ce liquide facilitant les échanges chimiques au sein de la cellule, mais son matériel génétique principal est contenu dans une enveloppe, ce qu’il l’apparente au noyau des cellules plus complexes dites eucaryotes.

        Le chaînon manquant d’une étape majeure de l’évolution ?

        Depuis plusieurs décennies, les spécialistes des procaryotes que sont les bactéries ainsi que les cytologistes qui étudient la cellule avaient élaboré une hypothèse qu’ils tenaient pour certaine selon laquelle les premières formes de vie unicellulaires à noyau se seraient assemblées en intégrant des bactéries de manière symbiotique, un peu sur le principe du lichen, cette osmose entre le mycélium d’un champignon et des formes unicellulaires photosynthétiques. Si ces "proto-eucaryotes" formant la base de la cellule moderne demeuraient hypothétiques sous le nom d’"archéons", les corpuscules qu’elles contiennent, les mitochondries qui génèrent de l’énergie pour la cellule et dans le cas des formes végétales les chloroplastes qui réalisent la photosynthèse, étaient ainsi tenus pour des bactéries incorporées au point de participer d’un ensemble unitaire. Le noyau était lui-même envisagé comme hérité d’un virus à ADN enclos dans une bactérie elle aussi assimilée par la cellule enveloppante (théorie dite de l’eucaryogénèse virale). Par conséquent, tous les êtres organisés étaient censés trouver leur origine dans une sorte de puzzle à la manière de la Créature assemblée par le Docteur Frankenstein du roman de Mary Shelley, une cellule anonyme faite essentiellement de cytoplasme intégrant complètement à la fin du processus évolutif des bactéries devenant des organites assurant la physiologie et un virus organisant les caractéristiques génétiques pour former le noyau de cette structure d’un nouveau type (il semble d’ailleurs qu’ultérieurement, des virus aient induit de nouvelles facultés chez nos ancêtres en s’incorporant au génome, peut-être même la capacité langagière). Cela confortait aussi les vues de scientifiques s’attachant à démontrer que l’évolution de la vie ne s’expliquait pas qu’en termes de compétition, mais pouvait aussi procéder de la coopération.

Des bactéries assez grandes pour pouvoir être photographiées aux côtés d'une pièce de monnaie.

        La cellule de la bactérie géante dotée d’un proto-noyau amène donc assez brusquement à réhabiliter la vision plus ancienne d’une évolution progressive, certes initialement très longue – les bactéries se multipliant en se divisant, elles sont moins sujettes aux mutations que lorsque deux individus sexués s’échangent leurs gènes au travers de la procréation, ce qui crée un brassage même entre individus proches susceptibles d’induire des variations qui aboutissent au cours des générations à engendrer de nouvelles espèces, et qui permet de comprendre à contrario pourquoi les bactéries ont régné si longtemps sans engendrer de souches réellement différentes lors de la longue aube de la vie terrestre. Avec Thiomargarita magnifica s’esquisse donc la possibilité que des bactéries aient malgré tout fini sur le long terme par produire des novations et que certaines, manifestant un développement de plus en plus efficient, se soient dotées d’un noyau ; une telle forme pourrait représenter la transition entre les procaryotes originels et les eucaryotes qui en quelques centaines de millions d’années ont donné naissance aux organismes unicellulaires supérieurs puis à toutes les sortes de plantes, de champignons et d’animaux dont nous sommes.

Dans la bande dessinée américaine We battled the micro-monster publiée dans le numéro 76 du périodique Greatest Adventure, le Docteur Hugh Tendler a créé une variante d'une bactérie qui croît démesurément jusqu'à finalement prendre des proportions titanesques bien au-delà de la véritable bactérie géante découverte en 2022. L'auteur crédite cette forme de vie d'un noyau alors que les microbes en sont en tant que procaryotes en principe dépourvus, mais la nouvelle espèce évoquée dans le paragraphe précédent démontre finalement que cette représentation n'est pas aussi fantaisiste qu'on était jusque-là enclin à le penser.

Le film à petit budget Bacterium réalisé en 2006 par Brett Piper s'inscrit dans la lignée du remake de The Blob de 1988 de Chuck Russell avec cette expérience sur une bactérie devenue incontrôlable, se multipliant pour former de grands agrégats gélatineux menaçant et dissolvant la vie humaine.

        Des géants encore plus minuscules au seuil du vivant

        Ne quittons pas le domaine des virus. Le grand public englobe ceux-ci parmi les microbes, bien qu’ils ne soient pas considérés comme des êtres vivants au sens strict – ce qui fait que les antibiotiques sont sans effet sur eux. Ils sont si infimes que l’invention du microscope électronique a été nécessaire pour vérifier leur existence, les maladies qu’ils causent comme la grippe ayant jusque-là été attribuées à des principes chimiques contenus notamment dans l’air. Ces formes étant essentiellement constituées d’ARN ou plus rarement d’ADN, certains biologistes se sont demandés s’ils ne représentaient pas une ébauche ancestrale de la vie, mais beaucoup d’autres considèrent qu’il s’agit plutôt à la manière du prion causant l’encéphalopathie spongiforme d’un ensemble moléculaire appartenant à un organisme vivant qui s’est autonomisé puis retourné pour se dupliquer mécaniquement à son détriment.

        On a aussi découvert récemment des virus géants, ce qui à leur échelle demeure de très petite dimension et bien loin de certains inventés par des auteurs de science-fiction, mais représente un record en la matière, d’abord Pandoravirus qui atteint un millième de millimètres (micron), puis en 2018, la mise en évidence sur un Chétognathe (ver-flêche) du genre Spadella du Megaklothovirus horridgei, initialement interprété comme une soie de l’animal, qui, avec 4 microns présente une taille identique à celle d’une bactérie, et est donc assez grand pour être visible avec un microscope optique ordinaire. D’autres "virus géants", des chlorovirus parasitant des microalgues, ont une taille plus réduite que les précédents, mais avec leurs deux dixièmes de micron, ils demeurent suffisamment gros pour que le protozoaire cilié Halteria s’en nourrisse.

Photographies au microscope électronique des virus géants, de taille analogue à la célèbre bactérie Escherichia coli courante dans le tube digestif humain, présentée à côté d'un virus de taille classique, le virus du SIDA (AIDS pour les Anglophones).  

        Une nouvelle fois, après la découverte d’animaux pluricellulaires vivant sans oxygène dont il a été rendu compte ici juillet 2010, la nature avec ses parents géants des amibes, des algues et des bactéries, ne lasse pas, même après l’extermination de tant d’animaux géants remarquables dans les derniers millénaires, de nous émerveiller par sa diversité à plus petite échelle, souhaitons que cela incite un nombre croissant à agir pour sa protection chacun à sa mesure.

Première partie : http://creatures-imagination.blogspot.com/2023/12/le-zoo-de-linfime.html

NOTA : pour le lecteur qui s'interrogerait sur la photo introductive de cet article, il s'agit d'un trucage réalisé sur Peter Cushing pour le film humoristique TOP SECRET ! par le maquilleur Stuart Freeborn auquel il a été rendu hommage sur le blog en février 2013.

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dimanche 24 décembre 2023

LE ZOO DE L'INFIME

UN MONDE MINUSCULE VISIBLE A L'OEIL NU, 1ère partie    


Ce spécimen de Gromia dépasse le centimètre de diamètre.

Le drapier hollandais Anton van Leeuwenhoeck ne s’était probablement pas intéressé tout particulièrement à la biologie jusqu’à une découverte fortuite – ce phénomène qu’on désigne sous l’appellation générale de sérendipité. En effet, celui-ci ne cherchait qu’à s’assurer de la meilleure qualité de ses étoffes lorsqu’il eut l’idée en 1776 de combiner des loupes pour pouvoir mieux vérifier la conformation des fibres. Réalisant à quel point son dispositif optique agrandissait de manière spectaculaire les détails des objets, il en vint par curiosité à scruter son environnement à travers ce fort grossissement. C’est alors qu’un monde entièrement nouveau se révéla à lui lorsqu’il réalisa non seulement la structure des organismes sous forme de cellules, mais surtout qu’évoluaient autour de nous des êtres plus minuscules encore que les cirons (acariens), si petits qu’on ne pouvait les déceler sans l’aide d’un instrument d’optique, apportant ainsi quelque réalité aux croyances et philosophies antiques qui postulaient que l’être humain était le maillon intermédiaire entre le macrocosme, l’univers, et le microcosme, un infiniment petit qui venait ainsi d’entrer dans le champ scientifique.

Le brillant autodidacte Leeuwenhoeck. 

    Franchissement occasionnel d’une échelle à l’autre

    Il existe des créatures de toute taille, depuis les infimes bactéries à l’origine de la vie, invisibles à l’œil nu mais dont les espèces pathogènes causent de grands torts, jusqu’à la baleine bleue sauvée in extremis de l’extinction, dépassant avec sa trentaine de mètres la longueur de nos plus grands véhicules terrestres. Chez les Arachnides par exemple, la taille va de celle des grosses mygales velues qui rebutent les arachnophobes, excédant celle d’une main, jusqu’à des acariens en dessous du seuil de visibilité qui colonisent la literie en se nourrissant de peau morte ou vont se nicher à notre insu dans l’épiderme comme le Demodex follicularum. On trouve des êtres présentant toute la gamme des dimensions intermédiaires entre les extrêmes, seules les capacités de notre vision fixant une frontière empirique entre visible et infime. Une découverte récente étonnante confirme qu’on peut trouver bien des exceptions marquantes en la matière comme on le verra plus loin.

    Les grains de sable abritent un écosystème varié insoupçonné qu’on désigne globalement sous le nom de méiofaune. Celle-ci comporte des représentants de nombre de groupes zoologiques, beaucoup d’espèces s’étant miniaturisées de manière indépendante les unes des autres pour coloniser ce milieu, comme de minuscules gastéropodes souvent sans coquille et des holothuries (concombres de mer), voisinant avec des organismes habituellement microscopiques comme les Protozoaires, les animaux unicellulaires. Les registres fossiles ont fourni de nouvelles illustrations de ce mécanisme, comme pour le groupe des Kinorhynques, des animaux marins allongés au corps recouvert d’une cuticule articulée cités dans l’article d'octobre 2019 "La peoplisation du vivant", qui sont actuellement tous microscopiques mais qui atteignaient quatre centimètres à l’époque cambrienne ayant vu l’apparition des grands types zoologiques modernes ; on ne peut donc voir à l’œil nu ces animaux qu’à l’état de fossiles. Pour le groupe des Tardigrades (les "ours d’eau"), l’espèce marine Echiniscoides sigismundi, qui a pour habitat les algues et les colonies de balanes des zones de marées, peut atteindre le millimètre et demi, ce qui la rend perceptible à défaut de permettre d'en apprécier directement la morphologie. Les Nématodes non parasites sont en général microscopiques mais les espèces marines appartenant au groupe des Araeolaimides peuvent mesurer jusqu'à 5 centimètre. Un animal multicellulaire primitif, Buddenbrockia (évoqué dans l’article de septembre 2014 "Un fossile vivant vraiment inattendu ?") qui vit dans les ascidies, nos lointains parents en forme de sacs fixés, peut être aussi petit que 0,05 millimètres, mais les plus grands spécimens peuvent atteindre trois millimètres.

Un très beau fossile de Kinorhynque du gisement fossilifère cambrien de Qingjiang en Chine, dix fois plus grand que les espèces actuelles qui vivent entre les grains de sable.

Le Tardigrade Echiniscoides sigismundi dont l'allure évoque celle d'un minuscule ourson.

Un Nématode marin macroscopique.

    Le plancton est aussi un foisonnement de vie pour l’essentiel invisible sans microscope. Dans les lacs et les rivières, on y trouve notamment des représentants de plusieurs groupes de Crustacés, les Copépodes, les Ostracodes à la carapace bivalve et les Cladocères, ces derniers étant généralement surnommés "puces d’eau". Si ces daphnies qui servent de proies aux hydres d’eau douce et aux plantes carnivores appelées utriculaires sont très petites, l’espèce Leptodora kindtii atteint un centimètre et demi, ce qui en fait un géant pour le groupe. 

Le diaphane Leptodora dans toute sa grâce (la tête à droite) ; la créateur japonais de figurines Kaiyodo en a créé une réplique pour les collectionneurs.

        Celui qui se trouve à la base de la chaîne alimentaire océanique contient notamment les œufs de tous les types d’animaux, composant un monde d’une grande variété presque invisible à l’œil nu, à l’exception notamment des formes dominantes comme le premier stade des Hydrozoaires sous forme de petites méduses, des larves de poissons ainsi que des Crustacés désignés collectivement sous le nom de krill (Euphiausacés et Mysidiacés) qui nourrissent les Cétacés à fanons. Parmi les prédateurs les plus redoutables de ce micromonde bouillonnant figure un petit groupe animal spécialisé dans la prédation, celui des Chétognathes, dont la position dans l’arbre généalogique du monde animal est très singulière, ne se rapprochant réellement d’aucun autre type vivant. Ils sont surnommés "vers-flèche" car leur corps est allongé, droit, se termine par une tête plus large et ils sont dotés d’une paire longitudinale de nageoires latérales ainsi que d’une nageoire caudale ; de plus, ils se déplacent avec une vitesse fulgurante. La tête est pourvue d’une mâchoire redoutable sous forme d’un double jeu de dents recourbées très effilées. S’ils sont ordinairement de petite taille, quelques-uns comme Pseudosagitta gazellae peuvent dépasser la douzaine de centimètres.

Gros plan sur la tête d'un Chétognathe montrant son double jeu de piquants acérés qui constituent sa redoutable mâchoire.

Pseudosagitta maxima, un des plus grands représentant des Chétognathes ou "ver-flèches" qui avec ses 9 centimètres pourrait être confondu avec un poisson.

    Il apparaît en fait qu’un certain nombre de types d’animaux multicellulaires ont réduit leur taille depuis l’époque du Cambrien pour s’adapter à de nouveaux milieux comme le plancton tels les Chétognathes et à la vie entre les grains de sable comme les Kinorhynques et les Tardigrades. Dans le cas des Unicellulaires, il peut à l’inverse arriver que certaines espèces accroissent leur taille jusqu’à franchir le seuil du visible, ce qui est évidemment plus inattendu chez les êtres dont l’existence semble ontologiquement ne pouvoir être attestée qu’au moyen du microscope. Chez les Protozoaires ciliés, quelques "géants" franchissent ainsi le cap du millimètre comme le genre Bursaria et le Stentor qui ressemble à une petite trompette. Quelques Ciliés très allongés présentent une allure vermiforme, comme Dileptus avec sa région antérieure effilée lui donnant l’allure générale d’un cygne qui peut atteindre 1,6 mm, Helicoprorodon gigans qui détendu peut atteindre 2,5 mm de longueur et Spirostomum qui avec 4 mm se hisse presque à la hauteur du demi-centimètre. Quant aux colonies sessiles de Zoothamnium, elles se présentent comme de gracieuses plumes qui parviennent jusqu’à mesurer 1 centimètre et demi de hauteur.


Un stentor en forme de trompette dont on distingue certains des cils qui entourent l'ouverture orale ; en dessous, photo étonnante laissant voir à l'œil nu une population de stentors à la silhouette reconnaissable. 

Des exemplaires de Spirostomum en mouvement sur une pièce de monnaie.

Le cilié colonial Zoothamnium ressemble à une petite plante susceptible d'être aperçue dans un aquarium d'eau douce ou d'eau de mer par l'observateur attentif, forme d'allure végétale qui aurait pu plaider au XVIIIème siècle pour rapprocher superficiellement des végétaux les Protozoaires - en réalité, chaque terminaison est un individu capturant de minuscules proies.

    Amibes et apparentés

    Dans le groupe des amibes, quelques espèces s’essaient aussi à passer le cap de l’échelle microscopique. Parmi les sédiments d’eau stagnante dépourvus d’oxygène peut s’observer le genre Pelomyxa auquel il arrive de dépasser le demi-centimètre, ce qui est là encore considérable pour un Protozoaire puisqu’on peut le voir sans instrument optique. Certains des Rhizopodes contiennent leur cellule dans une coquille comme les "amibes testacées" ou Thécamoebiens, c’est ainsi le cas de Gromia sphaerica des Bahamas qui peut atteindre 3 cm de diamètre.


Vues d'un spécimen de Gromia : on distingue par transparence au travers de sa coquille le cytoplasme dont irradient de fins pseudopodes, extensions qui permettent de se mouvoir ainsi que de capturer les proies ; en dessous, ce petit crabe araignée est investi par des coquilles de Gromia.

    Leurs parents les Foraminifères forment des coquilles plus élaborées. La forme discoïdale de Marginopora vertabralis atteint deux centimètres de diamètre. Les Nummulites, Foraminifères ayant aussi l’allure de petites pièces qui leur confère leur appellation fondée sur l’étymologie latine ("petits écus"), peuvent aussi atteindre cette taille, mais des formes éteintes étaient aussi grandes que des petites assiettes avec un diamètre de pas moins de 16 centimètres. Bien que fréquents dans le plancton, quelques Foraminifères forment des colonies fixées au substrat comme Miniacina miniacea qui constitue de petites structures rouges-rosées arborescentes calcifiées qui peuvent s’élever à une hauteur d’un centimètre ou Homotrema rubrum courant sur les pierres et les coraux des aquariums et capable d’atteindre 1,2 centimètres. Une espèce actuelle est d’apparence si semblable à une éponge carnivore qu’elle a autrefois été considérée comme l’une d’elle, d’autant plus qu’on la trouve dans les mêmes grottes méditerranéennes ; Spiculosiphon oceania se dresse à une hauteur de cinq centimètres et protège sa tige aussi bien que la partie terminale qui contient la majeure partie de la cellule avec des éléments rigides constitutifs des éponges, les spicules qui lui donnent son nom, les agglutinant avec un ciment organique translucide et les agençant soigneusement pour en faire un étui protecteur et pour la région supérieure un support afin der permettre aux fins pseudopodes d’être maintenus à proximité de la colonne d’eau et de leur permettre de jaillir pour se saisir des proies planctoniques.


En haut, une Nummulites actuelle posée sur le fond marin au milieu des algues rouges, en dessous, un représentant fossile géant.





Quelques représentants d'espèces de Foraminifères sessiles dont on peut distinguer les fins pseudopodes terminaux, Miniacina miniacinea, Homotrema rubrum, Halophysema tumanowiczii et le Spiculosiphon oceania, vue générale de deux individus dans leur tube et gros plan sur la cellule hérissée de spicules provenant d'éponges qui leur confèrent une forte ressemblance avec ces animaux.

    Les radiolaires sont lointainement apparentés aux Foraminifères, en plus de leurs fins pseudopodes transparents, ils possèdent des piquants filiformes, les axopodes, et comme eux, les coquilles de ces animaux planctoniques une fois morts jonchent le fond des océans. Il existe quelques espèces formant des colonies dérivant dans les eaux océaniques qui sont traditionnellement rangées au sein des RadiolairesCelle de l’espèce Tuscaridium cygneum a un diamètre d’1,2 cm. Collozoum inerme est à la différence de ses parents typiques dépourvu de squelette. Les cellules microscopiques (environ 0,06 mm) qui comportent plusieurs noyaux constituent des sphères accolées les unes aux autres et unies dans une matrice gélatineuse transparente. La colonie peut occasionnellement s’étendre jusqu’à une longueur de trois mètres.


Deux colonies de Radiolaires visibles à l'œil nu, en haut, Tuscardium cygnum, en bas, Collozoum inerme.

    Les naturalistes du Siècle des Lumières avaient tendance à rassembler dans un groupe "d’êtres dépourvus de symétrie", qualifiés d’"Amorphes", les formes de vie animales estimées comme les plus primitives, au du moins rudimentaires pour les auteurs qui n’étaient pas acquis à la vision de transformation graduelle des espèces, en y réunissant les Protozoaires et les Éponges, et certaines découvertes ont paru superficiellement conforter rétroactivement ce regroupement. On a évoqué deux paragraphes plus haut le Foraminifère Spiculosiphon oceania qui au moment de sa découverte en 2013 a été initialement envisagé comme une des espèces d’éponges carnivores qui elles-mêmes avaient été recensées par la zoologie quelques années plus tôt. Un groupe entier d’êtres vivant sur le fond océanique jusqu’à 10 kilomètres de profondeur, les Xénophyophores, a constitué une énigme pendant des années. Certaines de ces formes gluantes sont sphériques, d’autres ont une apparence festonnée comme la colonie de Bryozoaires (petits animaux coloniaux bien plus complexes que les polypes coralliens) appelée dentelle de Vénus. Lors de leur découverte à la fin du XIXème siècle, on avait tendance comme le grand naturaliste Ernst Haeckel à y voir un type inconnu d’éponges, un genre de Foraminifère, une sorte d’amibe voire un type d’algue primitif. Il est à présent établi que ces organismes qui se sont vus attribuer leur propre groupe sont bien des protozoaires géants pouvant atteindre la taille d’un ballon de basket-ball puisque Syringammina fragilissima présente un diamètre maximal de vingt centimètres. Ces êtres capturent leurs proies engluées avec leurs pseudopodes. On ne sait pas à l’heure actuelle si les très anciens fossiles trouvés à Franceville au Gabon (évoqués dans l’article de juillet 2010) sont bien des êtres unicellulaires, mais les actuels Xénophyophores qui peuvent revêtir une certaine importance écologique car leur fragilité en fait des indicateurs de l’état des écosystèmes abyssaux, nous démontrent que la Science-fiction, avec un roman comme L’ère cinquième de Max-André Rayjean, n’a pas le monopole des Protozoaires géants.

Ni algue ni éponge ni colonie de bryozoaires, un Xenophyophore parmi les rochers sur le fond marin.

    Les Myxomycètes ou Myxamibes, encore connus comme Mycétozoaires ("animaux-champignons"), représentent un groupe d’organismes unicellulaires tenant à la fois des amibes et des champignons. Ces "amibes sociales", dont le comportement est évoqué dans le célèbre ouvrage de sociologie La dimension cachée d’Edward Hall, se regroupent dans certaines conditions pour former des sporanges émetteurs de spores reproductrices. Le grand public connaît notamment l’espèce Physarum polychephalum surnommée "le Blob" par référence au titre original du film de 1958 dont la vedette est Steve McQueen qui combat une masse gélatineuse venue de l’espace (voir l'hommage à Wes Shank en novembre 2018). L’ensemble formé par le regroupement et la fusion des myxamibes peut chez cette espèce constituer une masse de 30 centimètres de diamètre. La forme martienne dépeinte dans le roman de 1977 de Ian Watson L'inca de Mars (The Martian Inca) est très comparable à ces organismes.

Des amibes du genre Dictyostellium convergent pour se réunir en une forme unique. 

Le plasmode que constitue le rassemblement des myxamibes peut représenter un volume assez spectaculaire pour le promeneur.

    Les animaux unicellulaires ne sont pas les seuls à pouvoir franchir le mur de l’invisible, il en va de même pour certains végétaux unicellulaires ; c’est ce dont il sera rendu compte dans la seconde partie de ce dossier.

La science-fiction n'assigne aucune limite de taille aux Protozoaires, un des exemples les plus connus et spectaculaires est l'amibe cosmique qui menace des mondes entiers dans l'épisode de la série Star Trek diffusé en janvier 1968 L'Amibe (The Immunity Syndrome) réalisé par Joseph Pevney d'après un scénario de Robert Sabaroff. 

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A suivre, seconde partie : plantes unicellulaires macroscopiques et microbes géants.


vendredi 17 novembre 2023

UN PROJET A PERDRE ALLEN


    David Allen a disparu il y a un peu plus d’une vingtaine d’années, le 16 août 1999. Il était avec Jim Danforth un des principaux disciples de Ray Harryhausen, ce dernier, auteur des trucages d’un monument du 7ème art comme Jason et les Argonautes (Jason and the Argonauts), ayant lui-même été l’apprenti de Willis O’Brien qui avait popularisé la technique de l’animation de figurines image après image (stop motion) avec Le monde perdu (The Lost World) en 1925 puis King Kong en 1933, avant d’être rejoints par Phil Tippett, Doug Beswick, Tom St Amand, Peter Kleinow, Randall William Cook ou encore Steve Archer pour ne citer que les plus célèbres. Après toutes ces années, il redevient d’actualité à la suite d’un évènement un peu singulier.


David Allen en compagnie du maître Ray Harryhausen.

    Né le 22 octobre 1944, David Allen avait fait ses débuts dans le court-métrage estudiantin Equinox en 1970, dont le producteur de Danger planétaire (The Blob) Jack Harris avait fait un long format. Il offrit aussi simultanément ses services à la publicité, dont une fameuse parodie de King Kong que la firme Volkswagen décida finalement de ne pas diffuser en estimant que l’emploi d’un singe géant au volant d’une de leurs automobiles ne servait pas l’image de prestige que voulait cultiver la communication plus sophistiquée de la marque. Les pâtisseries devenant de petits personnages dans la séquence horrifico-comique du Secret de la pyramide (Young Sherlock Holmes) dans laquelle ils tourmentent un jeune boulimique semblent d’ailleurs tout droit sortir d’une réclame.



David Allen avec une armature d'un tyrannosaure miniature, et en dessous, posant avec la figurine de King Kong pour sa séquence publicitaire non diffusée pour la marque Volkswagen.

    L’animateur avait contribué à nombre de films depuis les années 1970 comme Quand les dinosaures dominaient la terre (When Dinosaurs ruled the World) en 1970, un digne pastiche d’Un million d’années avant J.C. (Un million Years B.C.) agencé par le maître Harryhausen, démontré à nouveau son excellence avec l’animation du plésiosaure survivant du Mésozoïque de Crater Lake Monster en 1977, production modeste au scénario imparfait mais bénéficiant d’effets spéciaux et d’une photographie dignes d’un film à grand budget, œuvrant comme pour le précédent aux côtés de son ami Jim Danforth, ainsi qu’avec le monstre légendaire mis en scène par Larry Cohen dans Q – the Flying Serpent en 1982. Il a aussi créé la séquence du babouin se momifiant instantanément des Prédateurs (The Hunger), assuré l’animation du gremlin sur l’aile de l’avion pour certains plans du dernier sketch de l’adaptation cinématographique de La Quatrième dimension (Twilight Zone : The Movie), de la masse anthropophage de The Stuff, une dénonciation satirique des pratiques cyniques de l’agroalimentaire par Larry Cohen*, concouru à l’animation des pantins homicides des Poupées (Dolls), du dragon bicéphale de Willow, des petits engins extraterrestres de Batteries non included, des arthropodes géants de Chérie, j’ai rétréci les gosses (Honey, I shrunk the Kids), et des manifestations surnaturelles de S.O.S. Fantômes 2 (Ghostbusters II). Il avait encore animé la séquence image par image coupée de Hurlement (The Howling) montrant un rassemblement nocturne de loups-garous bipèdes. Dans les dernières années, l’animateur avait surtout travaillé sur des productions moins prestigieuses de Charles Band ; outre les colosses de ferraille de Robojox donnant l’impression d’être gigantesques et les dinosaures lilliputiens de Prehysteria, il s’était chargé des personnages miniatures de films versant souvent dans la semi-parodie. Il avait fondé sa propre compagnie d’effets spéciaux, David Allen Production, qui fut après sa disparition reprise par son assistant Chris Endicott.


Jim Danforth à gauche et David Allen, les premiers héritiers de Ray Harryhausen, une photo prise par Bob Burns pour le compte de l'animateur Mark Wolf.


David Allen sur The Crater Lake Monster en 1977 et le résultat réaliste à l'écran lors du tragique duel au bulldozer, qui entraînera la mort à la fois du conducteur et du survivant de la préhistoire. 


Un autre effrayant reptile, la divinité aztèque Quetzalcoatl qui fait de terrifiantes apparitions dans le film Epouvante sur New-York (Q the Winged Serpent) de Larry Cohen, évoqué dans l'hommage au cinéaste en avril 2019 suite à sa disparition.

Un plan coupé d'un inquiétant conciliabule nocturne de loups-garous pour Hurlement (The Howling) de Joe Dante de 1981.

David Allen travaillant sur l'animation image par image de la version miniature du Gremlin s'attaquant à une aile de l'avion dans le sketch Cauchemar à 20.000 pieds (Nightmare at 20.000 Feet) de George Miller dans le film de 1983 La Quatrième Dimension (Twilight Zone : the Movie).


David Allen œuvrant sur le modèle de la fourmi de Chérie, j'ai rétréci les gosses (Honey, I shrunk the Kids) de Joe Johnston, qui apparaît gigantesque à l'écran à côté des adolescents miniaturisés qui parviennent à l'apprivoiser et à laquelle l'animation et le modèle mécanique confèrent une vraie personnalité. Les tiges métalliques servent de repères visuels entre deux prises afin de permettre une manipulation cohérente du modèle. 

    Il existe un projet auquel est associée la vie de David Allen, celui de The Primevals. David Allen a écrit le scénario dès 1967 sous le titre Raiders of the Stone Ring. Dans cette histoire, un zeppelin chargé de larguer des bombes est au cours de la Première Guerre mondiale détourné par une tempête apocalyptique jusqu’à une terre inconnue peuplée d’hommes-lézards et de paresseux géants, et est aussitôt la cible d’une attaque par un groupe de reptiles volants contemporains des dinosaures. Jim Danforth et Dennis Murren révisèrent l’histoire sous la forme d’un traitement d’une trentaine de pages. La société Cascade Picture, une importante compagnie de production de films publicitaires pour laquelle travaillait couramment Jim Danforth, témoigna d’un vif intérêt pour le projet, mais n’y donna finalement pas suite.

Un très jeune David Allen déjà tout à sa passion pour les figurines animées, au côté de l'éditeur Forrest J. Ackerman ayant fondé la première revue consacrée au cinéma fantastique et de science fiction, Famous Monsters, et également fidèle ami de Ray Harryhausen.

Illustration conceptuelle de David Allen pour son projet Raiders of the Stone Ring, montrant le dirigeable attaqué par des reptiles volants, autour de laquelle la société de production anglaise Hammer avait songé à construire un film.

    L’année suivante, la société anglaise Hammer qui s’enthousiasmait pour le travail de Danforth et d’Allen sur leur production Quand les dinosaures dominaient la terre (When Dinosaurs ruled the World) se montra désireuse de porter à l’écran le sujet. Cependant, les producteurs trouvaient que les séquences-test manquaient de ressort dramatique et ils rebaptisèrent aussi le film du titre très explicite de Zeppelin versus Pterodactyls. Il s’avéra progressivement que les producteurs pressaient David Allen de questions sur la faisabilité du projet, étant échaudés par le temps nécessité pour la réalisation des effets spéciaux de Quand les dinosaures dominaient la terre, se montrant ainsi moins disposés à se lancer dans un nouveau film comportant beaucoup d’animation image par image, et par ailleurs, que le nouveau titre de Zeppelin versus Pterodactyls n’éveillait aucun intérêt de la part de potentiels distributeurs américains. De surcroît, David Allen lui-même commença à se désinvestir du projet. Non seulement il n’appréciait pas la réécriture du scénario sous l’égide de la Hammer, lui paraissant, en empruntant aux récits d’Edgar Rice Burroughs, verser dans un genre d’aventure et de romance par trop conventionnel, mais cette nouvelle mouture lui avait fait prendre conscience de la faiblesse de sa propre histoire initiale mise en évidence par ses bouts d’essais. Enfin, il n’avait pas touché un seul centime de la compagnie en échange de son implication prolongée.

    Néanmoins, David Allen n’avait pas complètement renoncé à son sujet et il s’était mis à réviser son script. Il reçut finalement l’aide d’un autre animateur, Randall William Cook, pour refondre l’histoire, lequel était soutenu par un producteur qui souhait lui en confier la réalisation mais qui fut jeté en prison. Par l’intermédiaire du maquilleur Steve Neill, David Allen et Randall William Cook furent engagés par le producteur Charles Band pour donner vie aux extraterrestres reptiliens qui apparaissent au début et à la fin du film Laser Blast. Le script de Raiders of the Stone Ring fut d'abord réintitulé The Glacial Empire au début des années 1970 et c'est semble-t-il à cette époque que David Allen décida d'attribuer aux hommes-lézards une origine extraterrestre. Au fil des réécritures, le projet qui devint The Primevals vit aussi l’adjonction du personnage de yéti colossal dont l’autopsie révèle une intervention non humaine. Le scénario dévoile la découverte d’une cité installée dans l’Himalaya par des extraterrestres d’aspect reptilien. Cette œuvre de longue haleine à laquelle son concepteur ne cessa jamais réellement de se consacrer parut définitivement compromise lorsque le cancer emporta David Allen en 1999.


Illustration conceptuelle de préproduction exécutée par le célèbre illustrateur George Barr montrant la cité souterraine.


David Allen et une maquette d'humanoïde reptilien, ainsi que gros plan sur le modèle et la figurine achevée.

Une des premières images filmées, une composition associant un plan avec un acteur avec une figurine animée ajoutée photo après photo pour donner l'impression du mouvement.

Figurine d'un monstre reptilien pour une première version du film ; l'animal paraît moins fantaisiste depuis que dans les dernières décennies ont été exhumés des fossiles de Sauropodes (dinosaures végétariens à long cou) présentant une arrête dorsale ornée de piquants qu'on pensait auparavant l'apanage d'un autre groupe de dinosaures, les Ankylosaures (dinosaures cuirassés). Le site Créatures et imagination présentera d'autres images de créatures du cinéma inédites dans une grande série à venir.

Au cours du très long processus d'élaboration, d'autres changements ont eu lieu comme pour le Yéti dont le faciès a été reconfiguré pour se rapprocher davantage de celui d'un gorille (à droite) ; les animateurs ont une attirance pour cet animal comme Willis O'Brien qui lui consacra trois films, dont le King Kong donna sa vocation à Ray Harryhausen, comme celui-ci ne manquait pas de le rappeler et qui l'assista sur Mr Joe (Mighty Joe Young), Jim Danforth rêvait de l'animer avec la même technique que l'original pour le remake abandonné au profit de celui porté par Dino de Laurentiis et souhait monter son projet Krangoa autour d'une famille de gorille géant, et enfin comme indiqué plus haut, David Allen avait animé un King Kong pour une publicité non diffusée.

Une première version du poster.

Version ultérieure du poster avec un Yéti plus anthropomorphe.

David Allen avec un comédien costumé pour les prises de vues réelles.

David Allen derrière la caméra.

Une carte de vœux de David Allen avec une photo de son personnage favori.

    Cependant, le producteur Charles Band avait récemment annoncé qu’il n’avait pas renoncé à ce que le film soit terminé, affirmant que l’essentiel avait déjà été tourné, non seulement les prises de vue réelles avec les acteurs - incluant Robert Cornthwaite connu notamment pour son interprétation du scientifique de La Chose d'un autre monde (The Thing from Another World) en 1951, mais aussi une bonne part des effets spéciaux, l’animateur ayant fait appel au renfort de Randall William Cook et de Peter Kleinow afin de l’assister pour les séquences employant la technique d’image arrêtée. Le dirigeant de la Compagnie Full Moon Pictures (anciennement Empire) a prouvé tout récemment qu’il avait bien tenu son engagement de donner corps au rêve de toute une vie de David Allen, en complétant l’investissement consenti par sa société avec un financement participatif proposé au travers du site Indiegogo. On pourra noter qu’entre-temps, l’animateur Peter Montgomery a entrepris en faisant appel à la même ressource de réaliser un autre film comportant des séquences d’animation propulsant des personnages de l’époque victorienne dans des aventures rocambolesques les confrontant dans un monde inconnu à des créatures hostiles, Dark Earth, dont il a été ici question précédemment. Ainsi, le producteur Charles Band a pu annoncer à la mi-juin 2023 que le film était finalement terminé.


A droite, Ken Ralston, le responsable de la séquence des "anguilles de Tau Ceti" de Star Trek 2 : la colère de Kahn (Star Trek 2 : the Wrath of Khan) et des "microbes" de Star Trek 3 : à la recherche de Spock (Star Trek III : the Search of Spock), supervise l'arme à laser des créatures.  

David Allen à gauche avec ses collègues Randy Cook et Pete Kleinow encadrant un spécialiste des effets optiques, Spencer Gill.

David Allen et son collaborateur Chris Endicott au milieu des modèles de The Primevals.


Chris Endicott prenant la relève de son ami disparu pour poursuivre son projet


Kent Burton en renfort en 2019.

    The Primevals ne convaincra peut-être pas les détracteurs catégoriques de l’animation image par image, en dépit de la volonté affichée de David Allen d’entraîner le spectateur dans un grand film d’aventure ne se réduisant pas à ses effets spéciaux. Il faut néanmoins rappeler aux spectateurs l’incroyable perfection qu’a permis cette technique de reconstitution de mouvements sur une figurine comme dans les apparitions saisissantes de la terrifiante Gorgone au regard fulgurant rampant sinistrement dans son antre à la lueur de l’âtre pour semer la mort dans Le Choc des titans (Clash of the Titans), fabuleusement mises en œuvre par Ray Harryhausen, et les courts plans du dragon Falkor à la fourrure frémissante ondulant dans les cieux de L’Histoire sans fin (The Neverending Story) et surgissant in extremis pour sauver le héros Atreyu sur une majestueuse partition de Klaus Doldinger, imputables au talent de Steve Archer – des articles détaillés suite à leur disparition ont été consacrés sur ce site à ces deux magiciens du cinéma. Il convient de saluer la persévérance d’un artiste à l’échelle d’une vie, ainsi que la constance d’un producteur qui a su se donner les moyens de mener à son terme le projet par-delà la disparition de l’animateur qui y tenait tant, et il incombe dorénavant aux spectateurs de se laisser porter par l’atmosphère de dépaysement en acceptant la part inhérente de naïveté renvoyant à l’imaginaire juvénile que promet cette aventure si longtemps différée.


Le corps du Yéti ramené à la civilisation.

Un monstre reptilien surnommé le "Lézard de la rivière".

La cité souterraine.

Les explorateurs captifs des reptiles humanoïdes.



Le Yéti se rebellant contre les créatures étrangères.


Des extraterrestres prêts à combattre en déclenchant leur rayon.

Le nouveau poster du film.


Nota : Cet article devait paraître dès juillet, mais sa publication fut différée dans l'attente de la mise à disposition du film pour le public ; cependant, la société de production Full Moon Pictures qui a indiqué que l'œuvre a été présentée au Fantasia Film Festival de Montréal les 23 et 24 juillet puis au Festival du film fantastique de Sitges en Catalogne les 11 et 12 octobre, n'a pu préciser à ce jour la date à laquelle il serait possible de la visionner sur le site internet, ce qui amène finalement à défaut à le faire paraître ce jour. 


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